Vendredi 15 novembre

Je ne sais pas si c’est la fatigue, la frustration ou l’attendrissement – sûrement un subtil mélange des trois – mais je suis au bord des larmes, lors de cette évaluation de lecture sur L’Île du Crâne. Douze questions, allant du plus simple (Qualifier en deux adjectifs un personnage de votre choix) au légèrement plus complexe.

Et c’est une catastrophe quasi-intégrale, à l’exception d’une petite poignée de mômes.

Ce qui me donne envie de me rouler par terre en tapant des poings aléatoirement n’est pas qu’ils se plantent. A la limite, ils n’auraient pas bossé, pas lu, ils n’essayeraient pas, je pourrais en toute bonne conscience me dire qu’ils méritent ce qui leur arrive. Mais ça n’est pas le cas. Ils sont tous en train de se casser le ninin, et d’errer dans le labyrinthe de Groosham Grange. Gustav, qui passait le début de l’année à balancer des boulettes de papier pour ensuite hurler que ce n’était pas lui, a les doigts tellement crispés sur son bic que ses phalanges en deviennent blanche. Camilia, qui me regardaient jusque là comme si j’avais roulé sur son canari en tchippant ce qu’elle pouvait n’a pas relevé les yeux de sa feuille, à tel point que je crains un lumbago. Je ne parle même pas des élèves dont l’AESH est malade depuis dix jours, et qui tentent, qui de présenter impeccablement sa copie, qui de réunir quelques informations sur la couverture du texte.

J’ai envie de chialer parce que je me sens vieux con. Parce que je me dis qu’il y a huit ans, à Grigny, les élèves m’auraient pourri d’avoir pondu un contrôle aussi facile. Parce que je donne mentalement raison à cette calamité des groupes de niveau en me disant que gérer une telle hétérogénéité, c’est jouer au mikado avec des moufles. Parce que je suis incapable, à chaque fois que je tente de tous les faire travailler sur le même sujet, de leur apporter quoi que ce soit.

Est-ce que je devrais me satisfaire de les voir faire des efforts ? Bien sûr que c’est beau, que c’est positif, que c’est valable. Bien sûr que, depuis le début de l’année, j’ai vu ces ados hargneux se transformer en bonnes personnes. Vraiment. Qui essayent, chacun à leur hauteur, et qui essayent vraiment. Mais ça, c’est de l’égoïsme, c’est – je hais toujours cette expression – mon côté Bisounours. Et je grince des dents. Mon côté Adachi, dont j’ai déjà parlé, se révolte. Cette fois pas contre moi mais contre cette situation de merde : à quoi est-ce que cela va leur servir, d’être droits et éthiques, dans leur classe de français ? Qu’est-ce que je leur apporte, concrètement, hormis l’illusion que les choses iront mieux s’ils donnent tout ce qu’ils ont ? Il faudrait que je reparte de tellement loin avec tellement d’entre eux.

Rarement heure s’est aussi bien passée avec cette classe, rarement j’ai autant eu envie de défoncer quelque chose, ou quelqu’un.

Moi, probablement.

Sonnerie.

« Monsieur ? On a permanence après, on pourrait revenir dans votre salle, si on n’a pas fini le contrôle ? »

Je vais manquer de mouchoirs et colère, putain.

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