Vendredi 29 novembre

« Monsieur, pourquoi on travail pas tout le temps comme ça ? »

Les sixièmes Evoli braquent de concert leurs yeux sur moi lorsque la question se déploie, innocemment, dans la classe. Elle n’a pas besoin de trop forcer. Il règne un silence surprenant.

Surprenant parce que, en cette heure du vendredi après-midi, j’ai donné toute liberté ou presque. Chacun prépare le procès de Pâris à sa manière, ceux qui écrivent leurs textes, ceux qui rédigent le règlement, ceux qui prépare les affiches. Pas de places attribuées, pas de consignes autres que finir la tâche commencé au début de l’heure. Et ils ont tous travaillé avec une concentration assez folle. Très longtemps, ce genre de question m’a déstabilisé. Après tout, avec cette heure, n’ai-je pas touché au Graal ? L’autonomie, la diversité, la rigueur ?

Non.

« On ne peut pas tout le temps travailler comme ça.
– Bien sûr que si monsieur, vous voyez, on est sages.
– Oui, vous êtes sages, ça n’est pas le problème. Mais pour faire ce travail, vous avez besoin de tout le reste. De ce qu’on fait dans nos exercices de langue, des textes que nous étudions, des conjugaisons à apprendre. Et puis vous vous lasseriez.
– Ah ben non, c’est trop bien, de travailler comme ça.
– Parce que c’est exceptionnel. Et puis ça ne convient pas à tout le monde. »

J’adresse le plus discret des sourires à Mina. Cette élève modèle n’est, pour une fois, pas à la fête. Je pense qu’elle se demande ce qu’elle fout dans ce chaos. Je reprends mon laïus.

« Mais vous m’avez montré qu’on pouvait le faire. Et vous m’avez beaucoup impressionné.
– Alors on recommencera ?
– Si c’est pertinent.
– Ah oui. Si ça nous sert.
– Voilà. »

Voilà.

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