
J’aimerais bien, parfois, être comme eux.
Ces collègues brillants. Ceux qui savent rire, et amener dans leur rire leurs élèves, ceux qui maîtrisent tellement leur sujet que tout semble facile, évident. Même les règles de la mondialisation. Ceux qui sont précis, également, dans leur langage et leurs consignes. Ceux qui sont stylés, dont le charisme est capable d’ouvrir des portes autrement hermétiques.
J’aimerais être ces collègues, comme l’élève que j’ai été rêvait d’être ceux dont la vie semblait plus facile. J’ai grandi. Je sais ce que ces apparences peuvent cacher, peuvent coûter. Mais quand bien même. Je continue à avoir l’impression que mes cours, il leur manque ce brillant, cette patine. Certes, ça finit par être sympa. Confortable. Mais ça ne sera jamais les cours dont on parle, vingt ans plus tard, avec admiration. C’est totalement débile, qu’est-ce que ça peut me foutre, qu’on parle de ces cours-là dans vingt ans ? Je ne fais pas ce boulot là pour ça. Et pourtant, oui je l’admets, je suis jaloux. C’est terrible, ça mange au quotidien.
Et puis il y a des accalmies.
Comme ce matin, avec les sixièmes. Je n’ai pas allumé tous les plafonniers. Avec ceux qui le sont et les rideaux ouverts, on voit assez bien, et la lumière n’est pas trop agressive. Les mômes sont arrivés comme tous les matins, en ordre dispersés. Je les ai accueillis, un mot pour chacun. Ils se sont installés, finissant de me parler de leur weekend. Et là, ils sont en plein jogging d’écriture. Demandez ce que vous voulez pour Noël, ou votre anniversaire. Vraiment ce que vous voulez. Une seule règle : vous devez à chaque fois donner un argument, le plus sincère ou le plus excessif possible. Comme chaque matin, ils sont petit à petit entrés dans le sujet. Dans l’air, flotte la musique en boucle de Beneath the Mask, de Persona 5. Je peux m’asseoir parmi ceux qui ne maîtrisent pas encore l’écriture, les inclure dans l’activité.
Et tout le monde est bien. Tout le monde fait de son mieux. Je suis chiant parce que je recherche – je m’en rends compte maintenant – des cours tout en rondeurs. Je cherche à faire des trucs doux, je vise à ce que les rires ne soient jamais tranchants pour les personnes présentes, ou les proches. Là-dessus, je ne les prépare sans doute pas à la dureté du monde réel. Tant pis. Ils auront tellement l’occasion de le faire ailleurs. C’est un choix, un choix bien plus important que ce que je pensais au premier abord : montrer qu’il peut exister, par volonté commune, des lieux où l’on peut être soit, on peut être heureux, et que c’est lieux aiguisent eux aussi l’esprit, l’intelligence et la répartie.
La jalousie a fait place à une sorte d’orgueil tranquille. Est-ce mieux ? En tout cas moins douloureux. Dans l’océan de mes névroses et de mes peurs, les notes infinies d’une bande-son de jeu vidéo se déploient en îlot. Les sixièmes écrivent, de plus en plus, de mieux en mieux. Les sixièmes deviennent un peu plus forts de rigueur et de tendresse.
Ce que je veux bâtir.