
« Monsieur, c’est pas très intéressant, comme vous nous apprenez la conjugaison. On peut faire ça avec des jeux. »
Samira fait partie de ces élèves qui sont persuadés que, de temps à autres, il est bon de rappeler certaines évidences à leurs enseignants, sinon ça devient n’importe quoi, ces cours. Les premières années, ce genre de sortie me faisait sortir de mes gonds, puis, j’ai commencé à en rire, avant de ne plus en tenir compte. Cet après-midi là, je m’assois sur une table.
« Vous savez, j’ai commencé à apprendre la guitare, cette année. »
Quelques mômes me regardent avec perplexité, d’autres avec joie – super, le prof va faire une digression, on peut poser les stylos – et d’autres lèvent les yeux au ciel : qu’est-ce que cet olibrius va encore nous sortir ?
« Et je débute débute, hein. Pour le moment, j’en suis encore à apprendre comment appuyer correctement sur les cordes. Ça fait mal, ça laisse des traces sur les doigts.
– Mais c’est quoi le rapport ?
– Eh ben je ne sais pas pourquoi, mais ça me plaît. Parce que je sens que je suis vraiment en train d’apprendre quelque chose de nouveau. Alors bien sûr ça n’est pas pareil. J’ai choisi d’apprendre d’un instrument. Et vous, on vous enseigne du nouveau tous les jours. Mais ce que j’essaye de vous dire c’est que… C’est que petit à petit, vous n’aurez plus besoin d’apprendre. Vous ne ressentirez plus trop ça. Les exercices sur l’auxiliaire ou les cordes sur les doigts. »
Ils me regardent avec silence, toujours circonspect. Nous sommes vendredi soir, il y a beaucoup de fatigue et d’indulgence.
« Peut-être que vous ne comprenez pas encore. Dans plusieurs années peut-être. Mais c’est pas toujours une mauvaise chose, que de sentir que ça fait un peu mal.
– Oui, et puis après on regarde le film, alors hein !
– … Voilà. »