
Il faut se rendre à l’évidence, cette scène est horriblement triste. Nous assistons à un spectacle, dans le réfectoire du collège. J’ai insisté pour qu’Evilan soit présent. Je suis en train d’en faire un enjeu personnel et c’est nul. Mais je n’en peux plus de le voir exclu de presque toutes les modalités de sa vie de collégien, je me persuade que si j’arrive à le maintenir dans un semblant de normalité, ce sera bénéfique.
Semblant de normalité tu parles. Evilan ne peut physiquement pas tenir sur une chaise ou même debout dans une allée. Il tente à plusieurs reprise de se lever pour se jeter sur scène ou aller frapper ses camarades. Ou les insulter, quand ça va. J’en viens à m’asseoir près de lui et, comme ça ne suffit pas, à lui mettre les mains sur les épaules pour qu’il se rende compte de la présence d’un autre être humain. C’est une image presque touchante, une partie de moi rigole qu’on dirait un môme et son fils.
Mais ce qu’il y a derrière est déprimant. Nous souffrons tous les deux, ainsi que l’ensemble de la communauté, qui ne parvient pas à trouver une place à ce môme.
Et puis cette illusion est à quel prix ? L’heure suivante, Evilan entre en cours, se jette sur un camarade et le frappe au visage. Exclusion expéditive. Conseil de discipline à venir, qui sait ?
J’ai échoué avec ce môme. Je lui en veux de pourrir la classe – ils ne vivent que pour ses transgressions – je m’en veux de lui en vouloir : il est impossible qu’il soit heureux de cette situation.
J’aurais voulu lui dire que ça va aller, tu sais. Qu’on est très forts et qu’on va trouver comment faire pour que tu te sentes bien, bien avec les autres et avec toi. J’en suis incapable. Triste et incapable.