
Il est de notoriété publique que j’ai un humour merdique. En général, j’arrive à le cacher devant mes élèves, afin de maintenir un semblant de bon goût et de dignité en surface. Généralement, quand ils sortent une blague débile, je conjure des vers de Mallarmé ou des visions de Donald Jessica Trump, et ça me permet de garder une tête correcte.
Mais parfois ça ne suffit pas.
Comme lors de cet atelier théâtre, organisé par une troupe invitée au collège. L’exercice est compliqué, il consiste à ce que les comédiens échangent d’émotion suite à un événement inattendu. Ce sont Judica et Flare qui passent. Deux élèves que j’adore, vives, éveillées, et filoutant tout ce qu’elles peuvent pour en faire le moins possible en classe. A la fin de la scène, alors qu’un tremblement de terre se produit, la déprimée se met à sauter de joie en criant « Génial, viens, on meurt ensemble ! »
Je ne sais pas si c’est la réplique, la situation, ou la voix déjà grave de Flare, mais j’éclate de rire, avant de tenter, à mi-chemin de me contenir, en fermant la bouche, produisant ainsi un son qui tient à peu près du canard enrhumé. Trop tard, les mômes ont capté. Ils ont sur la bouche un sourire machiavélique.
« Venez monsieur, on va mourir ensemble ! »
On est vendredi soir, je suis crevé et ma dignité choisit ce moment pour décider de descendre acheter des clopes. Je n’arrive plus à me contenir, et ça provoque chez les sixièmes Feunard un enthousiasme dingue. Réussir à faire rire le prof, c’est comme vaincre le super boss optionnel du jeu : ça ne sert à rien d’autre qu’à dire qu’on est grave fort. Et tandis que je continue à hoqueter comme un débile, je décide d’arrêter de lutter : cette victoire-là, ils l’ont méritée.