Lundi 10 mars

J’exerce cette année dans le plus grand collège du département. Sans doute est-ce l’une des raisons pour lesquelles j’y croise beaucoup plus de collègues stagiaires qu’à l’accoutumée. Et depuis septembre, je les vois changer. Dans leur attitude, leur gestuelle, les propos qu’ils tiennent ; il y a quelque chose de presque saisissant à voir ces jeunes gens – je peux employer l’adjectif du haut de mon petit tas d’années supplémentaires – acquérir si vite certains réflexes et surtout une certaine vision de l’enseignement. Que je résumerais en ces termes : notre idéalisme va s’en prendre plein la gueule, chaque jour, tous les jours.

Je lis fréquemment des commentaires, sur les réseaux sociaux, sur le côté carcéral de l’Éducation Nationale. Parfois cela me met en colère, quand les arguments déployés ne traduisent qu’une envie de blesser. Parfois, je tente de comprendre sur quoi ce diagnostic se fonde. Et surtout pourquoi, malgré l’enthousiasme et la résilience de ces stagiaires, il se perpétue. Sont-ils en train, ces futurs profs, de mettre de côté leurs principes et leur force de révolte pour adhérer à un système maltraitant ? Ou tentent-ils, justement, de s’y confronter pour le changer au mieux ?

Bien entendu, mes pensées dérivent, elles dérivent toujours, vers moi. Comment est-ce que je me positionne ? Est-ce que les marques du temps et du métier ont fait de moi un rouage ? Ou est-ce que, justement, le fait de rester le perpétuel remplaçant me permet de conserver un peu de recul, comme nombre d’autres collègues vétérans ? Je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est que oui, enfant ou adulte, l’École nous change. Qu’elle peut être ogresse comme fée. Et ma place dans ce conte terriblement réel est encore loin, très loin de m’être claire.

3 réflexions sur “Lundi 10 mars

  1. Personnellement, j’essaie de faire au mieux, mais c’est vrai que je ressens souvent ce côté « carcéral » comme tu dis. Par exemple dans l’interdiction d’aller aux toilettes. On s’est fait tapé sur les doigts sur la question récemment dans mon collège pour avoir autorisé certains élèves à y aller et ça m’a profondément blessée. Je sais que la vie scolaire est débordée mais qu’ils doivent ouvrir/fermer les toilettes car sinon il y a des abus, je sais que certains élèves en profitent pour déranger les cours ou déclencher l’alarme à incendie, mais priver les élèves de ce droit me parait si cruel et pourtant on me demande de respecter l’injection. Alors on fait au cas par cas, on essaie de distinguer le très bon acteur de l’élève réellement désespéré, d’agir avec humanité en sachant qu’au moindre soucis ça va nous retomber dessus.

    C’est d’autant plus terrible que l’injonction n’existe que pour pallier le manque de moyen humain et matériel, parce que avec des AED supplémentaires et des toilettes propres et bien entretenu je suis presque sûr que 90% de ces soucis seraient résolus. Mais beaucoup de collègues ne se posent pas la question, ils appliquent ce qu’on leur demande et j’ai du mal à les blâmer……

  2. J’imagine avoir le pouvoir, quelques fois dans ma vie, de revenir dans le passé, pendant quelques secondes, à un instant précis qui m’a marqué. Lors de ces expériences, je conserve mon apparence passée, mais avec mes capacités et connaissances actuelles.

    Je choisis le moment où ma prof de lettre, au collège, expliquait les contraintes d’unité de temps, d’unité de lieu et d’unité d’action des pièces de théâtre du XVIIe siècle.

    Et je lui dit « Mais, madame, ce sont exactement les contraintes qui nous sont imposées ici, au collège, avec en supplément l’unité d’âge et l’unité d’objectif d’apprentissage.

    Je fais jouer le rôle du prof par ChatGPT 4.5 :

    Ma remarque déclenche un bref silence dans la salle. Je vois les sourcils de la professeure se froncer légèrement, intriguée par mon analogie inattendue. Puis, avec un léger sourire, elle me répond : « Tu soulèves un point intéressant. Peut-être que chaque époque a tendance à enfermer les individus dans un cadre rigide, mais ce sont les esprits capables de dépasser ces cadres qui font évoluer les choses. À toi de choisir si tu souhaites être spectateur ou acteur de ce changement. »

    De retour au présent, je souris à mon tour en pensant au mésusage du mot acteur, car un acteur, quels que soient son talent et sa liberté d’interprétation, récite le texte d’un auteur dont il ne peut se libérer totalement. Il suit un chemin déjà tracé. Dans l’exercice de ma fonction d’enseignant universitaire — avec sans doute incomparablement plus de liberté qu’un prof de collège, mais tout de même, en l’espèce, conquise de haute lutte — je crée une pédagogie flexible, asynchrone, hybride, dans laquelle il n’y a unité ni de temps, ni de lieu, ni d’action, ni même d’objectif.

    J’ai accéléré cette démarche après les périodes de confinement, en réalisant que le vrai confinement avait lieu, en fait, dans les salles de classes.

  3. Je ne saurais trop vous conseiller, ainsi qu’à tous vos lecteurs, collègues, amis et connaissances, de regarder l’excellentissime et génialissime (aucun superlatif n’est de trop) série Adolescence, sur Netflix. Le 2e épisode (sur 4) se passe au collège/lycée, et je serais extrêmement curieuse de savoir ce que vous en pensez: est-ce que ça vous semble juste, ou non, et si non, est-ce dû seulement au fait que ça se passe en Angleterre (déjà il y a des uniformes, donc gros gros décalage là-dessus), ou est-ce que les auteurs de la série sont à côté de la plaque?

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