
C’est un tourbillon de haine, de haine véritable, qui me monte au nez, à la tête et presque aux lèvres. J’ai atteint la dernière frontière, je n’ai plus rien pour pardonner.
Face à moi, le visage d’Evilan se tord dans tous les sens tandis qu’il m’insulte et me menace. Des mots immondes et violents. Il est arrivé en classe les mains barbouillées de peinture noire et je lui ai demandé de se rendre aux toilettes pour les laver, une fois que son copain, qui a fait la même chose, en aurait terminé. Evilan a voulu y aller en premier.
« Non, il faut atteindre que Benny revienne. »
Et là, des hurlements. Devant les autres élèves de la classe de sixième qui le contemplent, qui me contemplent, médusés. Je me sens devenir furieux, je me sens devenir violent. Je n’en n’ai plus rien à foutre qu’Evilan aille probablement très mal. Que ce qui le mange de l’intérieur n’ait pas encore été identifié correctement et qu’en attendant, il soit du rôle des adultes de tenter de créer un milieu qui lui permette d’exister, qui lui permette de vivre de la façon la moins douloureuse possible. Je me fous de cette certitude qu’une fois qu’il aura exorcisé tout ce langage, il se calmera immédiatement et il finira le cours sage comme une image.
Je n’ai plus les ressources pour me prendre ces tempêtes dans la gueule, ni pour les minimiser, les réinterpréter auprès des autres élèves. Je vois la porte, entrouverte. Par cette porte, il y a tout ce que je pourrai faire. Me barrer, me mettre à hurler plus fort que lui, éclater en sanglots, peut-être.
Je n’ai plus les ressources, je n’ai plus que cette phrase, débile, qui surnage à la surface de mon ego et de ma pensée : « poser sur le monde un regard sans haine. »
On n’en sort pas. Malgré ce qu’il se passe, je refuse de rajouter encore plus de violence à la situation. J’ai sans doute tort et peut-être qu’il faut, de temps en temps, être violent. « Taper du poing sur la table ». Surtout là.
Je m’y refuse.
Je m’y refuse, j’inspire, je me redresse. Un truc dans la colonne vertébrale. Je plante mes yeux dans le cataclysme qui tient lieu de regard à Evilan. Et sans le lâcher, demander à l’un des élèves d’aller chercher un surveillant. Je ne sais pas ce qu’il y a dans mes pupilles ni ce qu’elles reflètent, tandis que, immobile, je laisse le flots d’insanités se tarir. Déjà je suis après. Tout ce qu’il faudra faire. Parler aux autres élèves. Parler aux parents. Remplir des rapports. Et tenter encore et toujours de lui parler, à lui. Ça ne sert sans doute déjà plus à rien, mes pouvoirs n’ont aucune prise sur lui. Je n’ai plus que des bribes de convictions. Et en premier lieu tenter de rester droit et sans violence. Pour lui, pour eux, pour moi. Ça n’est rien du tout. C’est mon rien du tout.