
« Monsieur, il y a des rumeurs…
– Ah bon, lesquelles ? »
Yanis plisse les yeux et sourit. Comme si j’étais tombé dans une sorte de piège, le genre de piège que les sixièmes Feunard tendent sans cesse à leurs enseignants.
« Il paraît que certains élèves de la classe vont aller en SEGPA l’année prochaine.
– Ah oui ? Et pourquoi c’est devenu une rumeur ?
– Ben…
– Parce que vous vous dites entre vous que les SEGPA, ce sont des idiots. »
J’ai énoncé cette dernière phrase du ton le plus égal possible. De façon à ce qu’il leur soit impossible de nier. Deux trois mômes ricanent en détournant le regard, d’autres secouent la tête, l’air peu convaincu.
« Vous vous êtes déjà demandé pourquoi vous pensez ça ?
– Ben parce que c’est vrai.
– Vous savez qui est en SEGPA, quand vous croisez des élèves dans les couloirs ?
– Non mais…
– Attendez je sais. C’est un truc qu’on vous répète depuis aussi longtemps que vous vous souvenez.
– Ben ouais.
– Comme que le rose, c’est pour les filles. Que les boucles d’oreille aussi. Que les tatouages, c’est pour les gens pas bien. »
Je désigne tour à tour mon pantalon, mon lobe et mes bras nus, à cause de la chaleur. À nouveau, je déroule mes mots sans le moindre heurt. Sous mon crâne, bouillonne le rire gras de Roger, dans Le ciel de Nantes, qui se dandine à quatre pattes tandis qu’il tourne à la rigolade le coming out de son neveu. Et dans le monde réel, Yanis hoche la tête.
« Ben ouais.
– Vous savez, je suis devenu vraiment adulte quand je me suis demandé pourquoi j’étais obligé de penser certaines choses. Et que j’avais le droit de m’habiller comme je voulais, de me comporter comme je voulais et d’aimer qui je voulais. Alors bon, la SEGPA, je pense qu’il faudrait voir ce que c’est vraiment.
– Monsieur ?
– Oui Louise ?
– Ça veut dire quoi au fait SEGPA ? »