
« Alors je vais pas faire le sujet que j’ai dit pour l’oral du DNB. À la place, je parlerai de mon projet d’orientation qui est de travailler dans le sport. J’ai décidé ça hier soir. Ma problématique sera en quoi j’aime le sport. »
Je me retiens de lever les yeux au ciel. Ça fait trois heures et demie que j’écoute les élèves dérouler leurs oraux blancs. Il y a eu de tout, des prestations originales et réfléchies, et d’autres durant lesquelles on se demandait qui, des examinateurices ou de l’élève s’enquiquinait le plus. D’après ma collègue, Arto est un élève relativement peu agréable, que ce soit avec ses camarades ou avec les adultes. Il n’a presque rien préparé lors des heures consacrées à l’épreuve orale, et se tient devant nous, le manteau toujours sur les épaules, une feuille de brouillon déchirée à la main. Avec à la bouche ce ton chantonnant des mômes qui ont mal appris par cœur.
« Dans une première partie j’introduirai mon introduction. »
Continuer à le regarder en hochant légèrement la tête – je suis beaucoup trop expressif, j’espère cependant que je joue correctement mon rôle d’examinateur à l’écoute – et faire mentalement la liste de ce qu’il y a à reprendre. Liste qui fait déjà la taille de Guerre et Paix. Les deux premières minutes sont destinées à la description maladroite d’un salon de l’orientation.
« … et j’aimerais travailler dans le sport parce que les influenceurs m’intéressent. »
Oh non. Pas le point influenceurs.
« Ce sont eux qui m’ont aidé à aller mieux et à me convaincre de demander à mes parents de faire une gynécomastie. »
J’atterris brutalement. Le regard d’Arto a changé, sa voix, aussi. Il a froissé son papier entre ses doigts. Plus aucune note lénifiante dans son histoire d’ado mal dans son corps, qui s’est accroché à des vidéos et des routines d’exercice physique comme un naufragé à son radeau. « Je euh… Je sais pas si je peux parler de ça en oral du DNB. »
Les adultes en face de lui restent silencieux. Pas un silence hostile – j’espère, en tout cas, qu’il ne le prend pas ainsi – le silence qui cherche à surtout, surtout ne pas abîmer davantage. Alors Arto continue à parler. Et tandis que son récit se déploie, la question me lamine, à m’en faire des bleus : qu’est-ce que le monde fait à nos enfants si tôt, si violemment ?
Il termine son récit. Nous parlons, de choses que je ne relaterai pas ici. J’ignore ce qu’il s’est passé, et je suis devenu trop prudent pour choisir d’y lire une grande révélation, un moment de libération. Juste qu’il y a des milliers de choses à faire pour cet élève.
Et si peu de temps, en cette fin du mois de mai.
Juste, comme toujours 😉
Une gynécomastie ? Une mammectomie plutôt, non ? Sinon je ne comprends vraiment pas ce que tu as voulu dire 🙂