Mardi 3 juin

Je le dis sans honte : le mardi de 10h30 à 11h30 est mon heure préférée de la semaine. J’ai cours avec les 6e Feunard, et en plus, avec le demi-groupe qui contient les élèves avec lesquels je m’entends le mieux. Pas forcément les meilleurs, les plus scolaires ou ceux qui aiment le plus le français. Non. Juste… On s’entend bien.

En plus ce matin, ils sont en train de mettre au propre des poèmes sur lesquels ils ont bossé. Ils ont brillamment validé leurs épreuves sur le passé simple, ils méritent cette pause. Et forcément, l’esprit plus libre, ils parlent. Comme Alonso, qui me regarde depuis quelques minutes, comme s’il n’était pas sûr de l’entame de sa phrase.

« Monsieur…
– Oui ?
– Sans me moquer, est-ce que vous étiez triste, quand vous avez plus eu de cheveux ? »

Les autres ne rigolent pas, mais le mouvement de leurs mains se ralentit.

« Bien sûr que j’étais triste, surtout que j’étais encore assez jeune.
– Et maintenant ?
– Parfois. Mais de moins en moins. Il y a des choses qui m’importent plus. Et j’essaye de m’aimer comme je suis, même si ça n’est pas facile.
– C’est vrai, vous avez du mal ?
– Comme beaucoup d’adultes.
– Pas que les adultes hein ! »

C’est Elvan qui est intervenu. Elvan, dont j’ai débloqué la fermeture éclair hier.

Elvan énonce un complexe que je ne recopierai pas ici. Un complexe habituellement exprimé par des adultes. Puis Fernando me parle de sa terreur d’être chauve lui aussi « mes frères ils ont des gros cheveux, très épais. Moi ils sont tout fin, je fais quoi s’ils se mettent à tomber ? »

Quelques autres, pas tous, prennent la parole. Elle parle toujours trop doucement, elle se trouve laide. Ça n’est pas triste. Les phrases fusent comme s’il fallait s’en débarrasser. Ils n’attendent pas, je m’en rends compte, de réconfort ou de réponse. Juste, donner son à ces peurs, les faire s’écraser contre le mur. Je suis abasourdi. Ils ont onze ans et tellement de peurs ancrées. Mais déjà, ils se remettent à bosser. Sauf Alonso.

« En fait monsieur, si vous êtes triste, vous avez qu’à vous dire que vous ressemblez à Saitama.
– Ah, j’ai une élève qui m’a dessiné comme lui, une fois, au lycée.
– Mais c’est trop classe ! »

Ils s’en vont, enfants, en riant, et en me disant merci. C’est rare. Ils s’en vont, enfants, tandis que leurs peurs leurs soufflent au visage. Sans les faire reculer.

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