Jeudi 19 juin

Ça n’est pas tant que j’assume, que je refuse les résistances.

« On n’a pas à parler de sa vie personnelle en cours. » Cette phrase, je ne compte plus le nombre de fois où je l’ai entendu. Et elle me fait toujours autant grincer des dents. Celles et ceux qui la prononcent ce sont les adultes qui ne se rendent pas compte que la « vie personnelle », elle émaille le contour de nos phrases, de la traversée de dix mois par an que l’on effectue avec les élèves.

« C’est un texte que j’ai découvert en le lisant à mes enfants.
– Quand je suis allé en Angleterre avec mon mari, on est passé devant une vitrine et j’ai pensé à vous.
– Ce que je fais pour les vacances ? Je pars avec mon fils à Marseille. »

À la sonnerie, quand on sent que les mômes ont beaucoup travaillé, ou quand soi-même on veut jouer la montre. Des temps en temps. Des pas grand-chose.
Mais quand on est un peu dans la marge, quand on n’est pas tout à fait dans la norme, ces souffles imperceptibles deviennent des bosses. Des ornières, des chausse-trappe, que beaucoup d’entre nous contourneront, l’air de rien, syntaxe un peu plus lourde.

« Je pars avec des amis en Belgique.
– J’ai visité le musée qui contient cette statue avec avec la personne avec qui je vis. »

Jusqu’au moment où on trouve le courage. La lassitude. Jusqu’au moment où on en a assez. Et alors ces riens du tout deviendront un sujet.

« Oui j’ai dit avec mon copain, Luka, fermez la bouche s’il vous plaît. »

Je ne plaisante pas. Il avait la bouche ouverte. Comme dans les cartoons. Et si c’était marrant, il y avait quand même cette peur qui refuse de céder, à l’arrière de mon esprit. Luka peut avoir la dent dure, et le sourire cruel. Luka en parlera à ses amis, qui ne sont pas des rigolos, et pour qui l’homophobie est une donnée. Est-ce que, pour des respirations infimes, ça vaut le coup, de faire vaciller ce que l’on s’est construit d’autorité auprès des mômes ?

Quelle question. Bien entendu que ça vaut le coup. Pour les collègues qui nous ont précédé ou qui viendront, pour les élèves qui savent et ceux qui découvrent. Pour ce monde qui continue à faire saigner aux entournures. Refuser de contourner, foncer, pied au plancher, sur cette bosse, prêt à cahoter. Ne plus mentir, cacher ou s’excuser.

Que ma colère serve à ça.

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