
Il y a deux ans de cela. Nous nous trouvons dans la très grande salle que j’occupe, dans ce tout petit collège. C’est l’heure de midi et nous avons rapproché les tables. Je n’arrive plus, moi, le maître de jeu aguerri, à poursuivre la partie du jeu de rôle avec le club qui s’est formé un peu par accident. Les courageux investigateurs perdus dans une forêt ont, depuis le début de la partie, raté TOUS leurs jets de dés, et actuellement, le personnage de Yann est prostré derrière un muret, s’est pris une balle dans la fesse et psalmodie : « c’est pas très très juste, quand même. »
Nous pleurons tous de rire devant cette avalanche de malchance, et cinquante minutes, ça n’est pas assez pour toutes ces aventures géniales.
Une semaine plus tôt, Yann jouait le Comte, dans Le Cid. Il parlait trop doucement, mais avait dans son attitude sur scène, tout le mépris nécessaire à ce personnage. Il connaissait son texte par cœur, n’avait pas la moindre hésitation. « C’est dommage qu’il meure si vite », m’avait soufflé Louann-Chimène, dans les coulisses.
Présent de vérité générale.
Yann est mort hier. Message d’une collègue via WhatsApp. Il avait seize ans.
Je ne comprends pas. Ça ne m’est encore jamais arrivé. Ça n’est pas possible, pas concevable, ces lettres que je viens de taper sont obscènes. Les élèves nous disent au revoir, on a le cœur un peu serré, et puis, de loin en loin, on a de leurs nouvelles, ils deviennent des adultes, parfois ils vous recontactent sur les réseaux sociaux. On se dit qu’un jour on aimerait bien se voir.
Mais pas comme ça. Pas ça.
Les images d’une famille que je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer, de ses camarades, de sa place, à côté de sa copine Layla. Comment peut-elle aller, Layla ? Cette pensée ridicule qu’il n’aurait jamais fallu qu’il sorte de la salle C12, que là, au moins, il était en sécurité.
Je ne sais que faire avec ce message arrivé ding, comme ça. Je ne sais que faire de ce chagrin en vagues. Je pensais avoir fait le tour, avoir tout vécu en tant que prof. C’est jamais fini. Parce qu’être prof c’est suivre la fluctuation de milliers de vies.
Et aujourd’hui, Yann me l’enseigne, de plusieurs morts.
C’est épouvantable. Toutes mes pensées t’accompagnent. Je l’ai vécu une fois, et ça laisse complètement sonné.
j’essaie d’imaginer le choc et le chagrin… c’est toujours dur à vivre, même de loin, même en n’étant « que » le prof
soutien
C’est tellement dur… Je pense fort à toi.
tant de projets encore en cours avec ce garçon. Quelle mauvaise farce que tout ça. Ce n’est clairement pas juste. Cyrille.
Des pensées douces.. si tant est que ça serve à quelque chose..
J’ai malheureusement vécu.
Et j’ai survécu avec une cicatrice indélébile qui porte son prénom, « William ».
Nous avions alerté, signalé, tempêté, insisté. On nous avait répondu que c’était nous qui avions un problème. Que…
Il a achevé, interrompu, sa vie à 16 ans.