
C’est un fragment de soleil que j’ai fait entrer dans la voiture, alors que je retourne à la maison. En quelques minutes, il m’apprend qu’il s’appelle Arno, qu’il a dix-sept ans et qu’il fait un tour de France en stop pour aller voir ses amis. Nous avons dansé sans nous apercevoir, le soir précédent, sur les mêmes beats dans une plage qu’on faisait semblant d’être secrète, parmi des dizaines d’autres teufeurs.
Arno est lycéen, franco-italien. Il est en option musique et, lors de ses représentations de fin d’année, il joue en ouverture d’une festival de renommée internationale. Quand je lui apprends que je suis prof de français, il m’explique qu’il a essayé de lire une traduction de Spinoza pour mieux saisir les nuances de l’original.
Il n’y a pas la moindre prétention ou affectation dans son discours ou ses anecdotes. Et pourtant, pendant qu’il les déroule, heureux d’avoir trouvé un « prof de fête », je sens une distance vertigineuse qui se dessine, un trait immense, fulgurant et douloureux à l’opposé duquel se trouvent les élèves auxquels j’enseigne à Renaïs. Combien pourront, ne serait-ce que s’approcher des potentialités qui s’offrent à Arno ? Combien disposent, plus encore que de ses avantages sociaux et économiques, de ce privilège de vivre dans une réalité où tant de choses sont souriantes ?
Et comment réagir en tant qu’enseignant, en tant qu’être humain ? Je m’interdis de ressentir la moindre amertume envers ce jeune homme – ce n’est pas difficile, il est passionnant à écouter et bienveillant – mais je me demande que faire de cet inconfort. Je ne parviens plus à espérer une existence dans laquelle tous les enfants auront les mêmes possibilités qu’Arno. Mais comment leur en donner, de cette position tellement dérisoire qui est la mienne, ne serait-ce qu’un peu ? Dois-je le faire en tant que prof, que militant, dois-je me lancer en politique, apprendre à confectionner des explosifs ou des tracts ?
Arno descend, et je cligne les yeux. Encore ébloui, encore douloureux d’avoir fixé le soleil, là, au firmament. Inaccessible.
Je sais pas si c’est le bon article pour dire ça je me rappelle d’une époque où certains profs luttaient en allant camper devant les rectorat.
Je me demande si ça pourrait se refaire car c’est un bon compromis entre la mollesse des tracts et la radicalité des explosifs
en plus les recteurs rectrices qui sont du côté du gouvernement sont pas les plus courageux/se et peuvent changer d’avis si iels commencent à avoir peur . Et parfois une tente dans leur parking suffit.