Lundi 8 septembre

Les grandes révélations, les illuminations et autres épiphanies m’arrivent toujours dans les moments les plus débiles. Je ne sais pas si c’est un hasard ou mon cerveau qui est câblé d’une certaine façon, mais c’est comme ça.
Ce vendredi soir là, c’est au moment précis où je suis en train de tourner une clé Allen pour consolider le bureau de M. On est tous les deux recroquevillés sous la structure en métal, plaques de contreplaqué au-dessus de nous. Moi à-demi accroupi dans un angle bizarre, M. la tête au sol, les bras étendus au-dessus de lui.

Et comme une poulie parcourrait à toute vitesse le câble métallique qui enjambe une immense crevasse, ma pensée reconstruit à rebours notre rencontre et les aventures que nous avons vécu depuis. A peine plus d’un an. Une éternité de moments improbables. Et une immense partie étayée dans l’enceinte du collège. Là où ça a commencé, là où nous nous sommes rencontrés, autour de la table beaucoup trop grande de la salle des personnels. L’autre jour, A. me demandait si ça n’abîme pas les liens, de se voir dans le cadre du travail. Je n’ai pas vraiment la réponse. Je sais juste que, comme pour T., comme pour Monsieur Vivi lorsque nous étions à Grigny, vivre ces journées de boulot aux côtés de M. non seulement me préserve de ce qu’elles ont de plus sombre, mais me permettent d’y trouver toujours quelque chose de nouveau. Même une énième blague. Même être en train de consulter côte à côte nos téléphones. Même évoquer un projet qui ne verra jamais le jour.
Comme des enfants cachés sous une cabane improvisée ou un bureau à monter, je ne souhaite rien d’autre que ça. Ce lien si banal, si fort. Il est à chaque fois totalement différent, semblable uniquement dans sa force, dans le fait que sans lui, je serai comme je me suis senti, ces dernières années : vivant mais amputé d’une partie essentielle de moi-même. Celle où il y a des étoiles.

Ce soir le bureau sera monté, il y aura des rires, un film et une biche sur le chemin du retour. Les infimes parcelles de quelque chose de trop grand, de ce qui m’illumine à n’en plus finir.

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