Mercredi 10 septembre

Dans la très longue liste des moments dans lesquels je me sens totalement déplacé, les rencontres parents-professeurs se trouvent en bonne place, et plus particulièrement celle-ci où je me présente en tant que professeur principal devant une bonne quinzaine d’adultes. Je vais bafouiller, je vais encore raconter n’importe quoi et…

Mais non.

D’instinct, il y a quelque chose que je vais puiser en moi, alors que commence cette soirée : quelque chose que l’année précédente m’a appris.

J’ai appris qu’il est peut-être temps d’accepter que je ne suis plus enseignant par accident. Jusqu’à il y a très peu de temps, c’était un bouclier que je sortais à la moindre occasion. J’allais rester prof dix ans, j’avais eu le CAPES sans trop y croire, j’étais un imposteur.
Et puis il s’est passé un nombre de choses infini, qui m’appartiennent, à moi, et aux gens avec qui je les ai vécues. L’année dernière a été riche, mais aussi rude. Et m’a désarçonné. Pendant que j’étais à terre, à tenter de reprendre mes esprits, cette pensée parmi tant d’autres m’a traversé : peut-être est-il temps d’assumer. Et d’arrêter d’avoir peur.

Se dire qu’on est enseignant, vraiment, et légitimement, c’est effrayant. Parce que quelque part, je ne pourrai plus reculer. Plus me dire que tout ce que je vis depuis dix-huit ans n’est qu’un hasard, une sorte de comédie. Souvent, en rigolant, je dis que les mecs – les autres, évidemment, moi je ne me mets pas dedans – ont le « syndrome de la sauvegarde » : cette propension à toujours essayer de se garder une porte ouverte, pour pouvoir revenir sur leur pas, si jamais un choix qu’ils ont fait ne leur convient pas. Il est là, mon syndrome de la sauvegarde. Je proclame sans cesse que je suis prof par défaut, que ça n’est qu’un concours de circonstances bizarres.

Seulement, en face de moi et de mes insécurités, il y a des mômes. Des mômes qui ont besoins d’adultes solides, pour les aider à se repérer dans ce chaos de plus en plus bouillonnant. Des mômes qui attachent à mes paroles tellement plus que ce que j’y ai longtemps mis.
Tout ce temps. Il m’aura fallu tout ce temps et tellement de gens pour m’en rendre compte. Ça n’est pas pour moi qu’il faut que je bannisse mon illégitimité. C’est pour eux. La réponse était devant moi depuis tout ce temps.

J’inspire un grand coup. Et commence à dérouler mon laïus devant ces adultes, assis aux places de leurs enfants.

Ce soir, je suis prof.

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