
Cette année, je continue les joggings d’écriture. Formule modifiée. Désormais c’est le vendredi après-midi, lorsque l’attention se relâche et l’excitation se tend. Désormais, aussi, c’est une vingtaine de minutes. Un sujet, sur lequel les mômes rédigent. Et puis certains lisent, d’autres pas. L’année dernière, il s’agissait de moments durant lesquels je soufflais un peu.
Pas cette année. Cette année, je suis beaucoup plus sur leur dos. Parce que cette année, j’ai de vieux démons à terrasser. À commencer par celui-là :
« J’ai pas d’idée.
– Si. Vous en avez forcément. Même des nulles.
– Ben, oui mais elles sont nulles.
– On s’en fiche ça. Même si c’est nul, vous pouvez l’améliorer. Parce que franchement, un bonhomme avec des pieds poilus qui vit dans un trou, vous trouvez que c’est une bonne idée ?
– J’avoue.
– Mais qu’est-ce qui rend Le hobbit intéressant ?
– Ben… Le magicien ? Et les trucs drôles ?
– Voilà. Vous rajoutez un magicien et des trucs drôles.
– Ou une magicienne ?
– Bien sûr ! Plus qu’à imaginer à quoi elle ressemblerait.
– Alors là j’ai TROP d’idées. »
À la table d’à côté, Lara se marre en montrant une phrase qu’elle vient d’écrire à ses potes d’îlot. Je saisis un mot sur deux.
« Il me manque toutes les réfs.
– Ben oui, monsieur, on est jeunes…
– Totalement. Mais merci.
– De quoi ?
– Maintenant, je sais comment expliquer quelque chose aux élèves. Imaginez. Vous prenez un livre, et vous ne comprenez pas la moitié des phrases, ça se passe dans un endroit que vous ne connaissez pas, et on ne vous explique rien. Vous faites quoi ?
– Ben j’arrête, parce que ça m’ennuie.
– C’est pénible hein ? Surtout quand on est obligé de lire un livre pour le cours.
– Oh ben oui !
– Donc moi, si je suis obligé de lire votre histoire pour l’évaluer…
– Oooooh ! »
Le jogging d’écriture. Ça n’est pas parce que les élèves sont plus libres que moi si. Ça prend même des allures de marathon. Mais ils écrivent tous. Et ça, ça vaut toute l’énergie du monde.