Vendredi 19 septembre

Élève : personne qui sait faire semblant.

C’est une compétence que presque tous, ils maîtrisent. À des degrés hallucinants. Les élèves font semblant, tout le temps, sans arrêt. Je les vois, indolents, les bras étendus sur leurs tables en fin de journée. Est-ce que ça n’est pas notamment parce que cette performance permanente est crevante ? Les profs sont en représentation explosive dix-huit heures par semaine. La quasi-totalité des mômes joue un rôle hebdomadaire de vingt-six heures. Le rôle de celle ou celui qui comprend, qui approuve, qui a son matériel.

Je m’en suis rendu compte en discutant avec Gaëlle. Gaëlle est grande, se tient droite, sourit, a le visage qui irradie quelque chose de profondément chaleureux. Parce que Gaëlle, pour tout un tas de raisons, est heureuse au collège. Les règles et les codes qui régissent ce monde lui coûtent moins qu’à la majorité de ses camarades. Et toute cette énergie qu’elle ne passe pas à affecter d’être une élève adaptée à ce milieu – elle l’est – se canalise dans le plaisir d’apprendre, de découvrir, de communiquer avec ses camarades et les adultes.

Mais tous les autres ? Ceux dont je vois qu’ils se passent discrètement un stylo de la bonne couleur pour ne pas que je remarque qu’ils sont venus sans trousse, cartable fait trop vite, tout seul, ce matin. Celles qui baissent précautionneusement la tête sur la feuille vide où devraient s’inscrire les phrases de dictée du jour. Et peut-être n’est-ce qu’un produit de mon narcissisme, mais je trouve qu’il y a presque du soulagement, quand je m’en rends compte.

« Vous n’avez pas votre stylo (J’ai appris à enlever le point d’interrogation, mais à laisser la phrase en l’air, que ça ne fasse pas trop verdict.)
– Wesh, mais si, juste il est au fond de mon sac, j’ai trop la flemme de chercher et…
– Vous ne l’avez pas et vous ne pouvez pas noter le cours
– … J’ai oublié. »

Depuis ce début d’année, parce que j’ai l’immense privilège d’enseigner à des classes dont beaucoup élèves, sans être dans la situation de Gaëlle, ne voient pas l’école comme une souffrance, je tente de leur montrer en quoi cette immense dépense d’énergie est une souffrance. Comme elle peut être employée pour trouver du sens à leur présence ici, six heures par jour. Comme, soyons fou, elle peut participer à les rendre heureux.

C’est un projet enseignant totalement fou.

Après pour être enseignant…

Une réflexion sur “Vendredi 19 septembre

  1. cher Monsieur Samovar.
    depuis longtemps je vous suis mais cette annee c est différent. J ai ritualisé ma lecture. Tous les matin je lis le dernier billet. En cette 33 ie rentrée en tant que professeur d’anglais, chamboulement total, J ai mutée!
    Après 10 ans dans un établissement où J étais comme à la maison , identifiée des élèves , connaissant les fratrie, les parents, les situations ( bahut rep avec segpa), les partenaires, J ai voulu bouger pour un dernier coup de boost pour les 10 dernières années.
    il a fallu me faire violence pour aller jusqu au bout.
    Et le voilà donc la nouvelle , qui doit faire son trou auprès de tout le monde, avec les craintes de ne pas savoir …. Et c est pour cette raison, que j’ai instauré cette petit lecture du matin avec le café, un peu parce que je vivais une expérience Samovar. Bon , cette annee vous êtes sur le même établissement que l’an dernier mais vous lire le donne tout de même la force d’affronter ce petit défi quand on a 55 ans et qu on redémarre ailleurs …. Merci.

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