
Le lundi matin en première heure, j’ai les 5ème Empiflor en demi-groupe. Hasard des effectifs, il n’y a presque que des élèves auxquels j’ai enseigné en 6ème. Hasard des effectifs aussi, quelque chose les rassemble : j’ai envie de dire que ce sont les plus doux.
Dans ce début de semaine cotonneux, où j’évite d’allumer une lumière aux néons un peu trop crus, nous discutons, avec lenteur et calme du passage du Hobbit qu’ils viennent de lire. Pour une fois, Rosa a pris la parole. Cette gamine placide et en pleine poussée de croissance participe en classe comme elle fait tout le reste : prudemment. Juste assez pour qu’on ne la remarque pas, ni dans un sens ni dans l’autre. Mais pas ce matin.
« Mais monsieur, Gandalf il savait que Bilbo était pas vraiment cambrioleur ?
– Oui. Il veut que Bilbo parte à l’aventure mais…
– C’est quoi son métier à Bilbo, d’ailleurs ?
– On ne sait pas, comme sa famille est riche, il ne travaille probablement pas mais…
– Mais et le dragon, il crache du feu ? Si Bilbo ne l’évite pas, il va mourir ? »
Rosa n’a jamais manifesté autre chose qu’un intérêt poli pour ce que nous étudions, depuis septembre 2024. Pas cette fois. Et sa fébrilité semble contagieuse. Les questions se répandent et bruissent :
« Et ses dents ? Il a de grandes dents ?
– Mais pourquoi Bilbo il doit rentrer tout seul dans la montagne ?
– Il ne va pas mourir hein ? Vous promettez ? »
Ces cinquièmes, qui sont à l’âge où je me retrouve souvent face à des êtres soumis à une violence qui les dépasse, écarquillent les yeux, face aux signes que je dessine en l’air pour évoquer Smaug, les feux d’artifice de Gandalf, et les rassurer quant au sort du petit hobbit. C’est ténu, bref et ça disparaîtra dès la sonnerie.
Pour un début de semaine, c’est immense.