
Alen joue son rôle, il joue sa partition.
Depuis le début de l’année, il se fait semoncer dans les couloirs. Parce qu’il a mis une balayette à un camarade, qu’il en a insulté une autre, dans des termes épouvantables, ou parce qu’il a à nouveau tenté de déclencher l’alerte incendie.
Alen connaît toutes ses répliques. J’ouvre à peine la bouche pour lui dire de ne pas jeter son stylo à travers la classe que déjà il proteste : c’est pas lui, c’est toujours lui, c’est pas juste, pourquoi c’est lui qu’on punit alors qu’Anita elle fait des bêtises aussi ? (Anita lui jette un coup d’œil las).
Alen déroule sa vie d’élève selon un script, de mots dans le carnet en entretiens chez la CPE. Je ne le sauverai pas. Et ma tristesse pour lui est amplement tempérée par le mal qu’il fait aux autres. Mais cette malédiction commune à tant de mômes me fend le cœur. Toutes les scènes qui lui arrivent en ce début d’année, il les a répétées, jouées pour un public somme toute similaire, dans ses classes précédentes.
Comme tant d’autres collègues, j’aimerais trouver l’antidote. Le surprendre, sortir la réplique à laquelle il ne s’attend pas. C’est orgueilleux de ma part, je le sais, c’est l’éternel syndrome du cercle des poètes disparus : être cellui qui trouve ces mots miraculeux, qui percent et qui sauvent. Bien sûr que c’est une scène caricaturale d’un film devenu un cliché. Est-ce que ça le rend moins vrai pour autant ? Est-ce que ce serait si grave d’être dans le conventionnel, si ça pouvait tirer Alen de ce marécage, dans lequel il s’enfonce ?
Parfois il écoute et s’intéresse. J’ignore si c’est par affectation ou que j’ai vraiment capté son attention. De brèves éclaircies avant qu’il reprenne ses masques tristes de harceleur, perturbateur, piqueur de fournitures scolaires. Il y a une lumière, quelque part sur son front, mais c’est comme ces taches que l’on ne distingue que du coin de l’oeil. Sitôt que j’essaye de la capter, elle disparaît : que je l’encourage ou tente de l’accompagner dans son boulot, il fuit aussitôt, se fout de moi, et arrose les planches de sa scène de kérosène avant d’y foutre le feu.
Alen joue son rôle, il joue sa partition. Et moi de chercher où se dissimule ces foutues lignes de texte, pour enfin les réécrire.