
Parfois, il n’est pas nécessaire d’obtenir de grandes victoires, pour tenir jusqu’à la fin de la journée. Parfois, il suffit de regarder Giulia. C’est facile, d’ailleurs, cette année, elle est probablement en train de lever la main, les yeux qui se marrent déjà, derrière les lunettes rondes.
Cette année. On dirait une plante, sur laquelle on a enfin versé de l’eau.
Parce qu’elle a patienté, Giulia. Lorsqu’elle était en cinquième, avec des mômes pas faciles, qui parlaient fort et s’insultaient histoire de faire passer plus vite les heures de cours. Des mômes qu’elle a retrouvé, lors de la sortie cinéma, qui lui ont à nouveau donné des coups dans le siège et empêché de se concentrer. L’année dernière, Giulia venait me voir, en fin d’heure, pour me chuchoter qu’elle avait bien aimé une phrase que j’avais dite.
Cette année, elle vient avec son groupe de copines, et parfois, je dois les mettre dehors « on sait, monsieur, si vous avez pas votre, café, vous serez de mauvaise humeur ! » Elles dessinent des cœurs, des monstres et Mathilde Loisel sur mon tableau blanc, après avoir répondu à tout un tas de questions pendant le cours. Après avoir dit que les illustrations de Gustave Doré, « elles sont tellement belles et elles font tellement peur ! J’ai jamais vu ça ! »
Giulia triomphe, enfin. Elle n’a pas le triomphe modeste. Elle l’a juste heureux. À se cultiver et dire, très gentiment et très fermement, aux deux zozos à côté d’elle de se taire. Ils se taisent, parce qu’elle les aide dans leurs rédactions, en leur donnant des idées, quand ils coincent. En échange, ils corrigent son orthographe bancale.
Cette année, Giulia est heureuse, profondément. Une lumière qui brille et jubile.
Ce bonheur.