
S’il te plaît ne le dis pas.
Ce n’est pas utile, ça ne fonctionnera pas.
Si Valentin se tient bien dans ta classe, s’il ne bronche pas et qu’il fait ses devoirs, c’est génial. Vraiment. Si tu as la chance que cette classe dont vous parlez travaille avec toi comme tu le souhaites, bien entendu qu’il y a tout lieu de s’en réjouir.
Sauf si l’on est le collègue avec qui tu parles.
S’il te plaît ne le dis pas.
C’est toujours compliqué, de dire qu’un élève te met la misère. Et là, Valentin a quand même réussi à retourner la classe contre lui, à ridiculiser les activités qu’il propose, à le faire douter. C’est violent et c’est une souffrance que l’on connaît tous, et que je ne souhaite à personne.
« Avec moi, il ne moufte pas. » Avec toi. Pour tout un tas de raisons, certaines sans doute de ton fait, et d’autres totalement hors de ton contrôle. Hors de notre contrôle. C’est tellement arbitraire, l’autorité que l’on a sur une classe, ça dépend de tellement de choses.
Ne pas rester sans rien dire, quand on se retrouve en difficulté ou face à un collègue qui en rencontre, ça va sans dire. Mais pas comme ça. Peut-être, juste peut-être, que c’est une façon de conjurer, de voiser cette phrase. « Avec moi, il ne moufte pas. » Ouf, quel soulagement, j’ai réussi, tu as vu, moi je m’en sors.
S’il te plaît ne le dis pas.
Mais mon discours, je le ravale, avec un beignet industriel posé sur la table dans la salle des personnels. Pas envie, pas le droit de faire la morale. Tout à l’heure je vais aller discuter avec le collègue, je crois. Je lui raconterai comment Valentin m’a retourné la classe, il y a deux semaines. Peut-être que je lui proposerai de venir faire un tour pendant une heure de français, et aussi de venir à son cours, qu’on puisse observer et réfléchir.
C’est vachement prétentieux, de l’écrire, à n’en pas douter. Mais je pense qu’il faut. Il faut parce qu’on veut tous ça, au fond, qu’avec nous, ça se passe bien.
Sans avoir à faire jouer les contrastes de ceux avec qui ça ne passe pas.