
La réalité qui dépasse la fiction. Je déteste cette expression, pour ce qu’elle pue de galvaudé, pour ce qu’on l’utilise si souvent à tort. Et pourtant, certains jours.
Certains jours, on est en train de lire une page de l’autobiographie de Malala Yousafzai avec les cinquièmes. Elle décrit les difficultés de sa vie, dans un village reculé au Pakistan. Comme toujours après une première lecture, je demande s’il y a des questions sur le sens ou le vocabulaire.
Et, immédiatement, Amir lève la main. Amir que j’adore malgré le fait qu’il m’exaspère. Amir, le plus enfant de mes cinquièmes : toujours souriant, toujours bavard, toujours enthousiaste, toujours tout petit dans son comportement.
« Oui Amir ?
– Mais si quelqu’un se rend compte qu’il est un garçon alors que ses parents pensent que c’est une fille ? Il fait comment ? »
Je n’ai pas le temps de hausser les sourcils, parce que je sais d’où vient cette question. L’année dernière, j’enseignais dans la sixième d’Amir. Et Breena. « Breena, c’est un garçon. » J’ai entendu cette phrase à maintes reprises. Sans aucune moquerie. Juste quelque chose qu’on est venu me confier de mois en mois.
« Et vous monsieur ? »
Alia, ancienne sixième également.
« C’est vrai, comment vous feriez, parce que vous tombez amoureux de garçons !
– Ben oui, parce que tout le monde vit comme il veut ! »
C’est Naëlle qui a pris la suite et regarde ceux des cinquièmes qui nous ont rejoint cette année. Il y a un accent doux et farouche dans sa voix. Naëlle, prend peu la parole, et toujours en levant la main. Pendant quelques secondes, entre nous quatre, il y a quelque chose de terriblement fort. Pendant quelques instants, il y a des êtres humains qui vivent ensemble dans l’abri de la salle A25.
Certains jours.