
J’ai mis un moment à identifier pourquoi cette classe de cinquième m’énerve. Ils ne sont pourtant que 20, et nombre d’entre eux, je les connais depuis la sixième.
Mais ils ont presque tous le même travers : ils sont égocentriques.
Tous les élèves le sont, à un degré plus ou moins important. Les adultes aussi, d’ailleurs. Mais dans ce groupe, c’est une bannière, un comportement quasi-permanent. Ils ne se laissent pas parler mutuellement, exige que l’on s’occupe là, d’eux, tout de suite, maintenant, et surtout, refusent de se mettre à l’écoute des autres.
« Mais pourquoi je dois aller travailler avec EEEEeeeeelleEEEEE ! J’ai pas envie !
– Monsieur, il a oublié son stylo bleu en maths, faut lui mettre un mot, hein ?
– Monsieur, monsieur, monsieur, mon
– Je vous ai vu, j’arrive, je m’occupe de…
– sieur, monsieur, monsieur. »
Je ne peux pas donner une consigne collective, je dois la prononcer à chacun, je ne peux pas leur parler un langage commun. Et c’est ça qui m’affecte le plus, je crois. Leur refus, de plus en plus vif, et de plus en plus adolescent, de s’intéresser à ce qui n’est pas de leur désir immédiat.
Jusque là, je ne trouve pas le truc, l’ingrédient secret qui transforme ces individus assis les uns en face des autres en véritable groupe. La solidarité peut naître de tout : l’envie de comprendre, l’admiration pour les autres, ou même le fait de se liguer contre les adultes. Ici, rien à faire. C’est un peu ma kryptonite : un rejet pur et simple de l’altérité.
On n’est qu’au mois de novembre, il y a encore beaucoup de travail possible. Mais ça m’angoisse. Ça m’angoisse et ça me raconte aussi ce qui m’importe dans ce boulot. Créer des liens avec ce que je connais.
Et entre eux aussi.