
Les néons que l’on a récemment posés dans les escaliers ont une double fonction : ils économisent de l’énergie et rendent le lieu encore plus laid. Une lumière visqueuse, blanche et triste, qui se reflète sur les crachats que les gamins éjectent presque sans y penser. Et j’ai du mal à les engueuler quand je les vois faire parce qu’entre nous, c’est tout ce que mérite ce lieu.
Je m’y retrouve toujours par accident. Je pourrais le couloir et descendre une autre volée de marches, nettement moins fréquentée, mais parce que je suis perdu dans mes pensées, que je parle avec un élève, ou juste parce que je suis très con, je me retrouve dans ce lieu, entouré d’un flot d’élèves chauffés à blanc, ne désirant que descendre dans la cour de récréation pour se décharger des heures de cours accumulés dans ces mois gris. Je descends donc maussade, les yeux rivés sur le sol pour ne pas glisser dans de la bave.
Quand chute devant mes yeux une puff verte. Elle rebondit sur le carrelage et je n’ai qu’un mouvement à faire pour qu’elle vienne se loger dans la paume de ma main. L’anneau au doigt de Frodo ou un truc du genre. La trajectoire ne laisse pas de doute de la poche d’où elle est tombée, et je relève la tête. Quelque chose craque et ce n’est pas que ma nuque de quarantenaire bien tapé.
J’ai les pupilles en plein dans celles de Kylian.
J’ai en horreur la déception. Peu de sentiments peuvent, à mon sens, faire aussi mal. Mais je suis quasi-persuadé qu’il a choppé la seconde durant laquelle elle est passée devant mes yeux. La dernière interaction que j’ai eue avec Kylian était un coup de coude dans la tempe. J’étais en train de le ceinturer, tandis que, des éclairs sous la peau, il tentait de casser la gueule à un camarade.
Et avant ça.
Avant ça, je l’avais en sixième. Il riait, pendant mes cours, de son grand rire déjà presque adulte, et levait la main à chaque question pour tenter de répondre.
Ça changé si vite.
On est à nouveau dans l’escalier baveux. Je ne dis rien, lui non plus. Personne ne nous prête attention. La tristesse partagée à cet effet.
Quelques instants plus tard, en vie scolaire. Je dépose l’objet sur le comptoir. Un de plus, je le sais, c’est devenu un vrai trafic. Les mômes se les achètent sous le manteau à dix balles l’objet.
« C’est un cadeau ? rigole L. Tu l’as prise à qui ? »
La mâchoire qui se met en mouvement, puis brutalement, se verrouille.
« Je sais pas. Je l’ai trouvée par terre. »
J’ignore si c’est de la lâcheté, ou de la loyauté. Un ras-le-bol. Ou peut-être, juste peut-être, l’espoir que c’est la dernière connerie. Que quelque chose sauvera Kylian.
Mais quoi ?