
(Ce billet fait suite à celui que j’ai écrit hier.)
Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai vu Bons baisers de Russie et Autant en emporte le vent. Deux films fondateurs de mon enfance, l’un mettant en scène un protagoniste violent et frappant à plusieurs reprise une femme désarmée, l’autre comprenant son lot de scènes racistes. Ces sous-textes, à huit ans, me sont totalement passés au-dessus de la tête. Et ces fictions ont vécu avec moi, en moi, jusqu’à ce que, peu à peu, je sois capable de les regarder sous toutes leurs facettes, y compris les moins reluisantes.
C’est, j’en suis convaincu, une partie du privilège bourgeois. J’ai eu le droit à du temps. Le temps de les regarder plusieurs fois, le temps d’en parler à mes parents, et surtout, le temps d’y réfléchir. Parce qu’énormément de mes besoins étaient pris en charge sans que ce soit un problème, parce que mon entourage m’a, très doucement, très harmonieusement, fourni les outils pour devenir un spectateur – ainsi qu’un lecteur – autonome.
Et il est là, le problème avec ce livre trouvé hier. Je suis capable d’en voir les aspects gênants, sans que ça me mette en colère, parce que j’ai eu la chance de pouvoir forger cette autonomie. Mais, sans aucune condescendance, ni misérabilisme, j’ai la certitude que certains de mes élèves ne disposent pas de ce temps, de ce privilège. Que ce soit parce qu’ils apprennent encore la langue française en quatrième, ou que la lecture, comme le visionnage de film, ne fait pas partie de leur quotidien.
Dès lors, en tant qu’enseignant, j’ai la sensation d’être mis face à une aporie : ou éviter le problème et les œuvres potentiellement ambiguës, ce qui me semblerait condescendant, ou, comme au début d’Autant en emporte le vent désormais, mettre un avertissement. Ce qui me semble également néfaste : le temps reste l’essence de l’autonomie. Décréter qu’un livre recèle des aspects problématiques, c’est en colorer d’emblée la perception, c’est retirer sa liberté de lecteurice à l’élève. Et je ne le souhaite pas non plus.
Alors quoi ?
Alors, peut-être, le seul choix possible : le leur expliquer. Pas en une fois, pas pendant un mois. Mais régulièrement, faire ce que je ne fais plus trop depuis quelques années : expliquer aux élèves que les textes qu’ils découvrent au collège ne sont pas le Bien. Ni le Mal d’ailleurs. Ils sont autant de pièces, de chevilles importantes dans ce tissage effroyablement complexe qu’est la littérature. Ouvrir, une fois encore, et toujours plus grand, les portes aux questionnements. Venir demander, si, durant leur lecture, des questions, des impressions étranges, des malaises adviennent. Encore, et toujours, partir d’elles et d’eux. Tellement simple.
Tellement difficile à mettre en œuvre.







