
« Non mais ce prof-là il est trop gentil de toutes façons, faut être charitable avec lui. »
L’une des innombrables phrases qu’un élève prononce dos à son prof. La copine de Deborah, elle, m’a vu arriver, elle lui faisait face. Et s’est décomposée. Comme Deborah, j’imagine, quand elle m’a entendu dire bonjour.
« Allez, vous pouvez entrer. »
Elle s’assoit, baisse la tête, fuit mon regard. Pendant que je réfléchis, durant ces quelques secondes que je suis capable d’étirer en heures, sous mon crâne. « Trop gentil », j’ai l’habitude. Tous les ans, depuis seize ans, je l’entends au moins une fois. Mais charitable, c’est une première. Dans la bouche d’une élève, et à plus forte raison de Deborah, c’est incongru.
Parce que Deborah n’est pas une personne que l’on pourrait qualifier d’agréable.
Depuis le début de l’année, elle s’en prend à plusieurs collègues, avec une insolence passive. Apparemment, elle met régulièrement les pieds sur la chaise d’en face, sort son téléphone, et, reprise, se défend d’un « je ne comprends pas pourquoi vous êtes pas content. » En français, elle est loin d’être une élève modèle, mais ne se montre jamais agressive ou négligente, rend un travail correct dans des délais raisonnables. Apparemment par charité.
Charité, nom féminin :
1. Amour du prochain.
2. Bienfait envers les pauvres.
Je pense pour le deuxième sens. Deborah ferait acte de charité envers son prof de français, pauvre de trop de gentillesse. Je ne suis pas naïf, je sais ce qu’il y a derrière. Manque d’autorité, probablement. Propension à ne pas se montrer ferme. Cassant ?
Il y a quelques années, ça m’aurait fait mal. Plus maintenant. Des élèves m’ont guéri de ces doutes. Des réussites personnelles aussi. Comme dans cette classe de seconde. Dans laquelle je n’ai aucune discipline à faire – pas étonnant, vu le lycée où j’exerce cette année – mais où tous, petit à petit, ont commencé à s’investir. A bosser. Où tous, maintenant, ils arrivent en souriant.
Et surtout, bien sûr, je repense aux sixièmes de l’année dernière, dont j’étais prof principal. « Etre gentil, c’est être le plus fort. » Ils ont appliqué cette devise toute l’année. Me l’ont rappelé quand je suis revenu les voir, cette année. « On n’a pas oublié, monsieur. » Des cinquièmes qui, de l’aveu de plusieurs collègues, se comportent presque comme des troisièmes.
Deborah est charitable avec son prof de français, pauvre d’autorité.
En attendant, sa moyenne est vachement montée.








