Mercredi 21 juin

Hier, les élèves de l’atelier théâtre d’Alrest et les quatrièmes ont eu le droit à la grande expérience : celle de la journée dans une salle de spectacle, répétitions et prestation le soir.

Elle est invariablement la même, invariablement différente.

La même : quand ils découvrent leur terrain de jeu pour les heures à venir. La scène, qu’ils osent à peine effleurer le matin et qu’ils parcourent en courant dans tous les sens à la fin de l’après-midi. Les fauteuils pliants dans lesquels ils se lovent au fil de leur fatigue, c’est long six heures de répétition. La régie, que les élèves désignés comme techniciens apprendront à manipuler ; ils adopteront, le soir de la représentation, la même sérénité un peu bourrine qu’ont les professionnels. Ce boulot vous possède.

Différente : des instants uniques. Ollie, incapable d’émettre un seul son quand il arrive sur scène. Je lui prête un manteau rouge incroyable, lui met un pistolet en plastique dans la main, je me colle au devant de la scène. “Vous me parlez, juste à moi.”
Le soir venu, il sortira son texte.
Liliana, élève adorable, qui récitait son texte comme absolument tous les autres textes qu’elle apprenait depuis le CP, et qui, le soir venu, se transforme en une version adolescente d’Emmanuelle Béart dans Huit Femmes.
Gilliat, qui canalise son stress en tapant de toutes ses forces dans les syllabes de Corneille, Rodrigue se mue en un rappeur de la Prohibition, avec sa chemise son revolver.

Et puis, comme à chaque fois, ce grand moment terrifiant. Quand, après six heures de répétitions, le rideau s’ouvre et qu’absolument plus personne ne peut les aider. S’il y a un trou, un imprévu, une catastrophe, on ne peut compter que sur soi et ses partenaires. Plus d’adultes, plus de prof. Et on découvre toute sa force, toute sa puissance, parce qu’on est en train de tomber. Dans cette chute, si on déploie ses ailes, on remontera.

Ce moment est un peu pour les spectateurs, bien sûr, et totalement pour ces jeunes comédiens. Les règles s’étiolent, ils accèdent à une autre partie d’eux-mêmes. “Ça passe vite, ça passe trop vite !” souffle Chimène à son retour dans les coulisses.

Ça passe si vite en effet. Toutes ces semaines de boulot, ces permanences piratées pour répéter les textes, ces heures du midi où on avalait beaucoup trop vite nos repas pour avoir le temps de filer le texte…

Le salut, et le rideau qui tombe.

C’est terminé. Le moment est passé et, déjà, il faut passer à autre chose. “C’était le dernier cours de théâtre”, me dit Lionel, affalé sur la scène vidé de son énergie. Toute cette force, cette énergie, tout ce miracle s’est évaporé. Littéralement. Ce qui s’est passé n’a pas disparu, mais est devenu invisible. Constitutif de l’air que respire ces jeunes gens, de leurs atomes.

C’était un grand et beau chaos. Puisse-t-il résonner longtemps à leurs tempes et à leurs vies.

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