
Est-ce que, finalement, tous les trucs un peu différents, un peu originaux, un peu créatifs que je fais avec les lycéens ne sont pas un perte de temps ? Des scories que j’ai importées du collège et qu’ils ne prennent pas au sérieux ? Je suis tellement angoissé à l’idée d’être bon, d’être crédible, que je crève de peur à chaque fois que je propose un travail d’écriture. D’appropriation.
C’est le cas aujourd’hui avec la découverte de la deuxième œuvre au programme, celle d’Hélène Dorion, Mes forêts. Un cours où je demande aux premières de s’interroger sur ce que c’est, pour eux, les forêts. D’en faire une forme poétique : quelque chose où le texte est employé différemment que pour de la communication. Hier, les premières Herbizarre, très gentiment, très respectueusement n’ont rien foutu et ont pondu des merdouilles. Malgré les guides et les balises mises en place. Envie de supprimer cette activité. Mais je me martèle que parfois, c’est juste une question de rencontres. Qu’il faut persévérer un peu avant d’énoncer des verdicts.
Les premières Galopa accueillent la feuille avec l’énoncé dubitatifs. C’est même un euphémisme. Le silence est tel qu’on pourrait l’attaquer au pic à glace. Je frissonne.
« Et si c’est une forêt de mon personnage de Donjons et Dragons ? »
Nouria me regarde derrière ses grosses lunettes à la Daria Morgendorffer.
« C’est l’une de vos forêts, bien sûr que ça fonctionne. »
Et c’est comme un éclat qui se détache et en laisse luire d’autres.
« La forêt dans laquelle mon cousin s’est cassé la figure !
– La forêt donc je cauchemardais petit.
– Un arbre généalogique, c’est une forêt, un peu non ? »
Un passage secret s’est ouvert, j’accède à une zone jusque là inconnue. Pendant une heure, trop brève, ils me racontent leurs forêt. De celle en bas du lycée à la Lorien.
« J’avoue que j’étais un peu anxieux, en vous proposant cet exercice », dis-je à la sonnerie.
« Non, en vrai on savait que ça serait bien », me répond Nouria, en pointant du menton mon T-shirt sur lequel s’étale la Tentacule Violette du jeu du même nom. Avant de partir sur son sentier de traverse.