
« OH LA VACHE. La semaine va être longue, ils ont l’air totalement crevés, les mômes.
– Les lycéens. Ce sont des lycéens.
– Ça reste des mômes, tu le sais très bien.
– Ouais bon, ouin ouin, ils sont fatigués. On est à une semaine avant les vacances, le syndrome du marathonien, tout ça. Tu radotes assez souvent dessus dans ton blog. On fait l’appel ?
– Non mais attends, laisse-moi réfléchir. Je dois commencer Thérèse Raquin avec eux, et après j’ai cette lecture linéaire à finir avec les premières. Ça va être intense, ils vont jamais tenir.
– Tough shit.
– J’aime pas quand tu parles anglais. Et j’aime encore moins le côté « la vie est dure, mais c’est la vie. »
– Tough shit quand même. Et c’est vrai, ton truc sur la vie. Ils sont grands, ils savent ce pour qui ils ont signé. Ce serait malhonnête de les traiter comme des sixième. Et puis quelle brillante idée de ralentir le rythme, avec le bac qui approche.
– J’aime pas ça du tout. Je vais forcément en perdre si je continue à avancer à ce rythme.
– Ils ne sont plus au collège. En théorie, ils savent pour quoi ils ont signé.
– En théorie.
– Mais tu es là pour quoi exactement ? Tu es leur prof de français ou leur coach ?
– Ben ouais, tiens. Balançons-leur des tartines d’analyse de texte bien coriaces dans la tronche, je suis sûr qu’ils vont vachement progresser, comme ça.
– C’est lâche, ce que tu fais. Il vont devoir en passer par là à un moment. Tu ne veux juste pas être celui avec qui ça arrivera. « Avec Monsieur Samovar, c’était mieux, on était tellement plus heureux. » Miss France 2023, c’est terminé, tu es au courant, j’espère.
– Oh, ta gueule. L’année dernière, j’ai prouvé que ça pouvait marcher. Quand je suis allé les revoir, au collège d’Alrest, ils étaient toujours aussi confiants, les sixièmes dont j’étais prof principal, toujours aussi heureux, et toujours aussi bons en classe, c’est leur prof qui me l’a dit.
– Tu n’as rien prouvé du tout, tu as eu de la chance. Et maintenant, tu es dans un lycée, tu as plein d’élèves, et tu assumes. Et ce serait bien que tu commences ton cours. Même si le temps se ralentit vachement quand on discute, ils vont finir par se demander pourquoi tu fixes le vide comme ça.
– Vivement que cette semaine se passe. Il est dur, ce métier, dans ces moments là.
– Tough shit. »