
Lors d’une représentation théâtrale, ma partenaire était une femme âgée. Elle était assise, j’étais censé venir à elle, la prendre par la main et l’entraîner dans une danse. Lors de la première répétition, je l’ai vue grimacer. Le metteur en scène est venu me voir. Pour m’expliquer qu’il fallait faire attention. Ne pas la tirer vers moi mais accompagner son mouvement, lui donner de l’amplitude, pour ensuite l’amener où je le devais sur la scène.
Ce jour là, quelque chose s’est mis en place.
Quelques années plus tard, je ne suis plus comédien, je rencontre Monsieur Vivi. Et je me rends compte que cette histoire d’accompagner le mouvement, ça ne concerne pas que le travail de la scène, mais aussi la pédagogie. Ne pas arrêter l’élève dans son mouvement, que ce soit l’erreur, une demande incongrue, un geste de révolte, mais réussir à rediriger cette énergie là où on le souhaite.
Je découvre une sorte de Graal. Je n’y parviens pas toujours. Rarement au début. Mais quand je réussis, c’est tout simplement miraculeux. Mes meilleures heures de cours adviennent grâce à ça.
« Monsieur, on peut faire un goûter ?
– Non. »
C’est aujourd’hui, le 22 décembre 2023, et je m’en veux d’avoir répondu comme ça à cette élève. C’est tellement, tellement plus facile de juste s’opposer. De juste imposer son mouvement. Parce qu’il est tard, que je suis fatigué, que je n’ai pas envie de me demander si la demande est justifiable, parce que…
Mais Tiana, qui a fait cette demande, grimace. La même grimace.
« Non parce que j’ai vraiment envie qu’on aménage un peu cette salle, elle est triste à mourir. Si vous avez des feutres, des crayons, on va se faire des cartes mentales, histoire de toujours avoir les notions sous le nez, mais de manière agréable. Après, si vous voulez grignoter en bossant, pas de problème. Je vous donne les sujets. »
Quelques carambars seront mâchouillés avec bonheur, mais l’énorme pot de Nutella trimballé dans le cartable depuis le matin est vite rangé (« Fais attentioooooon, tu fais une tâche sur ma définition du réalisme ! ») Il y a une très légère musique de fond et plein de pages compulsées pour créer un aide-mémoire qui tient la route sur les rue de Paris évoquées par Zola.
Et lorsque la sonnerie, enfin, retenti, ils se lèvent. Plutôt calmes, plutôt heureux. Je respire. C’était juste ça qu’il fallait.