
« C’était marrant, le cours aujourd’hui. »
Je suis content qu’ils l’aient trouvé marrant. C’est vrai qu’étudier la méchanceté de Zola envers ses personnages, c’est plutôt rigolo. Mais je ne m’en suis absolument pas rendu compte.
La faute à mon analphabétisme.
Depuis que j’ai commencé les cours au lycée, je me suis aperçu que j’avais perdu cette capacité : celle de lire le langage corporel de mes élèves. Est-ce leur âge, leur nombre, ou mes sens qui s’émoussent, je ne parviens plus à convoquer ce talent qui m’était si précieux : comprendre, dans un geste, vif ou alangui, un bâillement discret, ou un petit rire qu’ils étaient disponibles, préoccupés ou s’ennuyaient. Leurs visages me sont devenus brutalement hermétique.
Et c’est un vrai malaise.
Je passe mon temps à leur demander si ça va, s’ils suivent, s’ils ont des questions. C’est autant pour eux que pour me rassurer. Je n’ai jamais autant craint d’en perdre en route, de les lasser ou de les indifférer. Je ne peux plus compter que sur ce qu’ils acceptent de me dire, impression d’être soudainement devenu aveugle.
Tellement peur de ne pas pouvoir rouvrir les yeux.