Jeudi 18 janvier

« Le problème, c’est que je ne sais pas comment lire le texte qu’on a écrit avec Lydie. »

C’est la quatrième heure de l’atelier rédaction de slam. Je l’avoue avec une pointe de méchanceté : je suis un peu frustré. Oui l’atelier est super, oui les élèves se sont vraiment lancés, mais quatre heures, c’est beaucoup (et il y aura les deux heures pour une rencontre entre classes, en plus). Quatre heures, et ce n’est pas moi qui ai décidé d’inscrire mes classes à cet atelier. Quatre heures…

Mais la voix d’Ornella me tire de ma rêverie désagréable. Non, ce n’est pas la rêverie qui est désagréable, là, c’est moi. Et Ornella me fixe de son regard clair, qui semble ne jamais ciller.

« Comment je fais, à votre avis ? »

Ornella, je vous en ai déjà parlé. Ornella ne laisse rien passer. À la moindre imprécision, au plus léger terme vague, elle lèvera la main : « Je comprends pas. » Actuellement, j’évalue la qualité de mes cours au nombre de fois où elle a demandé des détails.

C’est sans doute pour ça que je la fixe, un peu interloqué. Son texte, c’est un refus des violences faites aux femmes. Elle en lit la partie la plus revendicatrice.

« Qu’est-ce qui vous embête, dans cette lecture ?
– Ben c’est le moment qui doit être le plus marquant. Et j’ai l’impression que ma lecture est molle.
– Mais enfin je…
– Enfin quoi ? (Oui, parce qu’elle ne me laisse jamais terminer une phrase en suspens non plus).
– Ornella vous vous rendez compte que… Que c’est une attitude que vous réussissez à avoir dans la vie de tous les jours, réclamer quelque chose ? On en avait parlé. »

Elle baisse les yeux. Elle baisse les yeux parce qu’on en avait parlé, et qu’elle m’avait confié les ennui que son ton lui a déjà causé. Impertinente. Insolente.

Et ça m’avait déjà énervé.

« Ornella, je dois aller en cours, mais c’est un vrai pouvoir, cette façon que vous avez de demander des choses. Essayez de prendre ce ton-là, quand vous lisez votre texte. »

Je n’ai pas le temps. J’ai fait trop vite, j’ai fait mal, me dis-je en courant dans les couloirs vers mon prochain cours. Le monde est rempli de gens tristes, aigris ou méchants parce qu’on a nié leur superpouvoir.

Ou qu’un prof bien intentionné a projeté sur eux ce qu’il pensait en être un.

Mais ils y a en eux tant de force. Il y a en eux la possibilité de tellement de bien que certains jours, alors que je n’ai que quelques instants, je ne peux m’empêcher de prendre le risque.

Laisser un commentaire