
« Il se cherche, non ? »
Je deviens profondément désagréable, lorsque l’on me pose ce genre de question sur un élève. 99% du temps, on peut la traduire par « Dis-moi, toi qui l’es et qui doit probablement disposer d’antennes idoines, il ne serait pas gay, cet élève ? »
Je ne sais pas ce qui m’agace le plus. Cette euphémisation comme s’il y avait un truc à cacher, cette idée que je serais expert en la matière, et surtout, cette utilisation du verbe chercher.
Parce que tu en connais beaucoup, toi, des adolescents qui ne se cherchent pas ? Et pourtant, on ne pose pas la question à la collègue musicienne, au collègue croyant, à la collègue grande voyageuse, et j’en passe. Bien entendu, qu’au lycée, ils se cherchent. Pour beaucoup d’entre eux, c’est comme une immense étendue qui s’ouvre devant eux. Plus de liberté, un corps un peu apaisé, des relations qui ont une autre géométrie que celle du collège… Bien sûr qu’ils se cherchent.
Et qu’il n’y a pas à baisser la voix quand on le demande. C’est ce qui les rend tellement attachants. Tellement belles et beaux.
Lorsque la sonnerie a retenti, tout à l’heure à 18h, j’ai eu un léger vertige. Pour plein de raisons, je ne les reverrai pas avant une semaine, ces élèves. Et… punaise, ça m’attriste ?
Bien entendu, que ça m’attriste.
J’ai quarante-et-un ans, seize ans de maison ; assez pour m’en rendre compte, et cesser de culpabiliser sur le sujet : mon carburant, c’est les voir dans cette quête, les élèves. Celle d’elles et d’eux-mêmes. Mais, parce que je suis un vieux prof, j’ai aussi réussi à laisser de côté mes ambitions de paladin ou de mentor. Il ne sera jamais question d’être un modèle : juste, par ce qu’on me demande d’enseigner, leur apporter des outils, des provisions, des armes pour ce grand voyage. Qui seront adoptés ou laissés sur le côté, peu importe. Leur apporter des connaissances, des méthodes de réflexion, une estime d’eux-mêmes, un peu de recul.
Bien sûr que toute la partie intellectuelle du métier me fascine. Sentir mon esprit grandir avec la découverte d’autres auteurs, en plaçant davantage d’exigence dans mes cours et en me cultivant.
Mais ça ne fait absolument pas le poids face à ce que je vois au quotidien face à moi. Même si c’est fatiguant, difficile, parfois laid et douloureux : la quête de ces mômes, de ces ados, de ces jeunes gens qui tous, se cherchent.
Puissent-ils se trouver. Pour se rendre compte que c’est une quête sans fin, que l’on ne s’arrête jamais. Et qu’on se donne tous, aux uns aux autres, de la force.