
À force, j’ai appris à les reconnaître. Ces élèves – il y en a beaucoup – qui aimeraient ne pas m’avoir comme prof. Ça n’est pas par méchanceté, hein, ni par irrespect. Seulement, ça ne colle pas. Je ne le vois pas forcément. Ce sont généralement, d’ailleurs, des élèves polis, respectueux et silencieux. Des élèves consciencieux, qui font le boulot demandé. Mais que je vois se raidir un peu quand je propose un projet un peu incongru. Dans les yeux desquels je constate un très léger reproche lorsque je commence ma phrase par « Alors, attendez, on va changer l’ordre des activités. » Qui ne s’arrêteront pas d’écrire quand je demanderai « Je vais vous demander de poser vos stylos, je vais vous donner une informations supplémentaire pour ce travail. »
Je suis notoirement foutraque. Pas au point que mes cours soient désorganisés ou impossibles à suivre. Mais ils se déroulent rarement en ligne droite. Il y a souvent des embranchements. Ça en motive certain, elles adorent ça, la surprise, ils trouvent ça chouette, de tisser des réseaux de sens imprévus. Et il y a ceux qui acceptent. Mais qui serrent les dents.
On peut difficilement être le prof de tous ses élèves, en tout cas, le prof qui convient à la totalité. Ce seront des années sinon de souffrance, du moins peu agréables. Alors bien sûr, on tend la main vers eux, on tente de s’adapter. Mais c’est ponctuel. Il y aura toujours l’année prochaine, où ils auront la chance de tomber sur un enseignant qui convient davantage à leur cartographie mentale ; ils diront même gentiment au revoir à la fin de l’année. Et puis, tout au long du collège et du lycée, la moyenne s’établira, en profs qu’ils auront suivi avec plaisir et les autres. On le sait, c’est comme ça, l’école est à l’image de la vie.
C’est juste, certains soirs, un tout petit peu regrettable.