
Il y a des poignards dans le regard d’Oliver. Des éclats de glace et des crocs. Je l’ai rarement vu autant en colère. Même quand je lui ai rendu une note déplorable, ou que je l’ai changé de place.
Non, ce qu’Oliver, comme plusieurs autres avant lui, ne supporte pas, c’est que je le voie sans son masque. Parce qu’en temps normal – ou plutôt, quand il sait qu’il est dans mon champ de vision – Oliver est l’élève modèle. Le regard penché sur son texte, le stylo à la main. Le corps droit, l’attitude sérieuse lorsqu’il s’adresse à la classe. Oliver a tous les codes, ses parents sont enseignants.
Mais Oliver a découvert la duplicité.
L’autonomie qu’ils se prennent dans la tronche, au lycée, ça peut avoir de sacrés effets, sur les grands adolescents. Surtout quand, comme je le soupçonne pour Oliver, ils se sont toujours comportés selon les règles. Ils ont toujours été obéissants, ils ont toujours travaillé comme il fallait. Parce qu’ils ne connaissaient rien d’autre. Et puis la seconde. Des effectifs de classe plus importants, un regard de l’enseignant moins vigilant dans les petits geste du quotidien. On a envie de leur faire confiance.
Oliver découvre la duplicité. Que s’il ne fait pas ses devoirs, il n’y aura pas forcément de mot dans le carnet. Que s’il n’effectue pas la recherche qui lui a été demandée, le prof n’ira pas systématiquement vérifier.
Alors, dès qu’il le peut, il triche. Intelligemment, bien entendu. Dès que je porte le regard sur lui, il redevient un élève modèle.
« Oliver, ça n’est pas votre texte, que vous venez de me lire, c’est celui d’Ennaya. »
Ça ne dure qu’un instant. Mais son beau visage régulier se déforme brutalement, gorgone. Et il baisse la tête, les dents serrés. J’aimerais avoir le temps de lui expliquer. De lui expliquer que c’est normal de tester les limites d’être un peu ivre de liberté. J’aimerais lui dire qu’il est désormais responsable de lui-même, de sa réussite. Que s’il veut jouer, ça le regarde, à condition de ne me prendre ni moi ni sa voisine pour des débiles. Mais pour le moment, il est fermé à double tour. Impression de s’être fait humilié. Découvrir qu’on est fait de tous ces sentiments contradictoires, certains splendides, d’autres pas très jolis, c’est compliqué.
Et le temps où je pouvais en parler, l’année dernière, dans ma classe de dix-huit quatrièmes me manque un peu.
Mais il n’y a pas le temps pour les regrets dans ce boulot. Chaque minute est précieuse. Alors je reprends mon cours sur l’ethos. Si je suis clair, peut-être que ça aidera Oliver.
Peut-être.