
« tous redoublaient d’efforts pour faire ce qu’ils voyaient plaire à un seul »
Ça n’est qu’une partie de phrase. Cela fait presque deux heures d’affilée que nous travaillons sur cet extrait de Gargantua, l’abbaye de Thélème, en Première Herbizarre. Et pourtant, six mains se lèvent ensemble.
« Holà, vous êtes nombreux à avoir vu quelque chose. Ollie ?
– Déjà, on a « tous » d’un côté, et « un seul » de l’autre.
– Eh, je voulais dire ça aussi !
– Et qu’est-ce que ça signifie, selon vous, Jolene ?
– Ben… C’est bête hein.
– Non, allez-y. »
Elle déglutit, met ses idées en place.
« J’ai l’impression que d’un côté on a le peuple, et de l’autre le dirigeant, le prince. Je veux dire, là on parle d’élèves, mais… Comment dire, je pense que c’est, comme vous dites souvent, un autre sens de lecture. »
Elle s’interrompt, les mots se bousculent. Sans demander la parole, sa voisine enchaîne.
« Donc on se disait que « redoubler d’efforts » et « plaire », ça constitue comme un pont, qui permet aux deux de se rejoindre. C’est presque comme un dessin, cette phrase.
– Cette phrase ?
– Pardon, ces propositions. »
Ils sont nombreux à hocher la tête. C’est encore chaotique. Il y a encore tellement à organiser, dans cet exercice complexe qu’est l’explication de texte. Mais je les vois. Avancer en harmonie, le regard affuté. Jouer avec les mots, les possibilités de sens. Découvrir qu’un texte, c’est inépuisable, et parfois, c’est « comme un dessin ».
Je le vois faire du français. Devenir les auteurs de leur propre texte. C’est inexplicable, si on ne l’a jamais fait. Mais c’est magnifique.