Lundi 15 avril

Je n’ai jamais pris de temps pour Hugo, depuis le début de l’année. Il faut dire qu’il fait tout pour que ça n’arrive pas. Installé au milieu de la classe, il ne participe que rarement – mais assez pour que je lui fiche la paix, par rapport aux élèves qui évitent systématiquement mon regard – a des résultats moyens, ne se déconcentre pas plus que ses autres camarades, et répond toujours d’un « non non », quand je lui propose de l’aide.

Mais là, Hugo a demandé à jouer une scène de théâtre. Je pense qu’il ne s’est pas rendu compte de ce que ça impliquait. Et quand il a demandé à changer, je lui ai expliqué que c’était trop tard.

Donc là, ce matin, avec sa partenaire, il fait un peu la gueule. Et déblatère son texte rapidement, de façon étouffée, en espérant probablement que je lui fiche rapidement la paix.

« Attendez, on va essayer autre chose. »

Il s’interrompt. Heureusement, je suis dans une classe d’élèves hyper scolaires, qui ne protestent presque jamais. Donc il n’ose pas protester non plus.

« Quand vous dites « Vous verrez cette crainte heureusement déçue », essayez de faire un geste du bras, comme pour la réconforter… »

Ce n’est pas grand chose. C’est un tout petit geste du bras. Mais je sais. Je sais parce que j’ai été à sa place. Il suffit juste que cette réplique, que ce geste sonnent juste. Il suffit juste que ça fonctionne.

Et ça fonctionne. Les trois élèves qui servent de public applaudissent.

« Ah ça rend trop bien, tu as trop bien joué ! »

Hugo ouvre de grands yeux, un peu perplexe. Recommence sa réplique. Et alors qu’il reprend le travail sur la scène, d’autres mouvement lui viennent.

« Après, il y a le texte qui m’empêche d’essayer d’autres trucs…
– Vous n’avez pas grand-chose à lire… Peut-être que si vous posiez le livre…
– Mais je vais oublier…
– Essayez. »

Quinze minutes. À l’issue desquelles il n’est plus tout à fait le même. Juste pour un petit moment, juste pour aujourd’hui. Mais lorsqu’il quitte la salle, pour la première fois de l’année, il n’est pas dans le peloton de tête. Pour la première fois de l’année, il me dit au revoir en me regardant.

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