
« Oh purée c’était chiant ! »
Valère s’étire de tout son long tandis que la sonnerie résonne, sans couvrir son exclamation. Je lui lance un regard faussement offensé par-dessus mes lunettes et les élèves qui ramassent leurs affaires.
« Ben merci, ça fait plaisir ! Quand je pense que je vous ai sorti mes meilleures blagues.
– Non mais vous étiez marrant monsieur. Mais une heure trente de lecture linéaire… Puis bon, j’aime pas le français. »
Il parle sans la moindre animosité, et s’éloigne en discutant avec ses amis, après m’avoir souhaité une bonne journée. Me laissant tout seul dans la salle avec pas mal de questions et une révélation supplémentaire : je suis tombé dans le piège dont j’avais cru me prémunir.
Depuis que j’enseigne, je passe mon temps à seriner à mes élèves – dans leur quasi-totalité des collégiens – qu’ils faut qu’ils s’intéressent à la matière pour eux, pour ce qu’elle leur apporte, et pas pour le prof. Qu’on s’en fout qu’ils me détestent ou m’aiment bien. Que c’est intéressant mais pas important pour leur histoire d’élève.
Et pourtant. Et pourtant cette année de première est une course d’obstacle. Parce que le temps est compté, parce que l’épreuve du bac est aride, parce que les lectures sont laborieuses.
Parce que je m’entends bien avec les premières. Des premières aux spécialités scientifiques.
Et eux, sont capables de faire la différence. Entre leurs cours et la personne du prof.
Ça me fait de la peine. Parce que, même si je trouve ça nul, même si je peine à me l’avouer, je me disais qu’en me montrant suffisamment captivant, en faisant le show, en multipliant les activités, je leur ferais comprendre que le français, c’est chouette, même quand ça consiste en grande partie à avaler des explications de texte par cœur ou presque. Ça n’a pas marché, et, quelque part, tant mieux. Mes élèves sont sains d’esprit et bienveillants.
Pourtant ça me chagrine. Même si c’est débile. Mes pouvoirs sont limités : par les programmes, les textes, les échéances. Tout ce que je peux faire, c’est les accompagner du mieux possible. Et avoir l’humilité de me dire que je ne suis que leur enseignant.