Mercredi 29 mai

Dans ce dernier texte étudié avec les premières, le narrateur de la Recherche du temps perdu évoque une promenade qu’il faisait avec sa grand-mère, aujourd’hui décédée.

Pendant que je rédige mes notes pour le corrigé, je garde en tête l’année qu’a passée Samara. Le fait que deuil l’a frappée. Alors je prends des chemins de traverse. Ne pas chercher à éviter totalement le sujet – ce serait nuire à tous les élèves, et elle s’en rendrait compte – mais en parler sans appuyer sur les blessures. Sans faire souffrir.

Il y a bien sûr l’humanité la plus simple, mais aussi ce que j’ai appris de Monsieur Vivi, il y a maintenant presque dix ans, et que je m’efforce d’appliquer à chaque heure de cours : donner à chaque élève sa place ; tenir compte de son individualité. Et je le peux, au collège d’Agnus, parce que j’ai le privilège – ç’en est devenu un – d’enseigner à deux classes de vingt-quatre élèves. J’ai eu le temps d’apprendre à les connaître. À comprendre ce qui les aidait, et là où il fallait être attentif, délicat. Ça m’a énormément aidé.

Mais comment faire, quand ils sont trente-six dans chaque classe, ou plus ? Combien de bévues ai-je commises, combien d’entre elles et d’entre eux ai-je laissé passer ? Pour trop, je sais, mes cours et les mots que nous avons explorés n’ont été qu’une suite de paroles lancées en l’air. Des heures qu’il a fallu subir, passer, parce que le bac l’année prochaine, parce que l’orientation, parce que c’est le jeu.

Je ne demande pas autre chose, lorsque je réclame, à corps et à cris, des moyens supplémentaires pour l’enseignement. Je veux des moyens pour avoir le temps et la possibilité de leur parler à chacun, et pas à tous, je veux des moyens pour qu’ils soient tous des individus. Tant d’élèves et d’anciens élèves parlent de la souffrance qu’ils ont ressentie à l’école. Du fait de ne pas avoir été écouté, que ce soit dans leurs difficultés ou leur souffrance.

Parce que c’est infiniment compliqué. Compliqué de prendre en compte chacune des personnes, chacune des potentialités que nous avons en face de nous. Je ne m’en plains pas, c’est passionnant. Mais infiniment complexe.
Et je veux, je veux absolument pouvoir m’occuper de chacun de celles et ceux qui me sont confiés. Là est la possibilité de réussir, là est l’épanouissement, là est le sens.

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