
Selif est un petit gars de sixième absolument adorable. Avec une volonté comme je n’en n’ai jamais vue. Et serviable avec ça. Toujours motivé pour aider, pour remettre les chaises sur les tables, pour distribuer des documents.
Et pourtant, Selif me donne parfois envie d’être désagréable avec lui. Parce que son besoin de savoir, de comprendre, m’est tout simplement insurmontable. Il lui manque énormément de mots – il est arrivé en France en cours d’année dernière – mais il lui est également insupportable de ne pas utiliser le bon terme. « Monsieur, comment on dit… Non, non je connais, ça. Ce que je veux dire… » Selif exige de la nuance. Il veut comprendre, aussi, pourquoi le système éducatif français fonctionne comme ça et pas autrement. Selif a un besoin immense de saisir le tissu de la réalité qui l’entoure, ça lui est vital.
Mais je n’ai pas le temps de le lui offrir. Parce que sa classe a d’immenses difficultés. Parce que le programme, parce qu’il est un allophone au niveau différent de celui des trois autres de la classe. Parce que, même si ses difficultés langagières n’existaient pas, je ne pourrais pas lui offrir le savoir total, absolu, inattaquable qu’il demande comme une évidence. À raison.
Si une vague d’agressivité – dont j’ai terriblement honte – me monte parfois lorsqu’il secoue la tête, comme déçu d’une de mes réponses, c’est parce qu’il me met en face de l’une des apories du métier d’enseignant : nous devons permettre aux élèves d’accéder à des connaissances impeccables. Mais la tâche est, dans les faits, impossible. Nous sommes condamnés à faire « au mieux ». À faire « suffisamment ». La plupart du temps, c’est assez. Mais parfois apparaît un assoiffé. Quelqu’un qui en veut plus, toujours, qui nous pousse dans nos limites physiques et mentales, sans aucune méchanceté. Nous sommes faces à ce constat : on ne peut pas tout donner.
Et c’est chiant.
Ce besoin de vérité absolu, je me souviens avoir eu beaucoup de mal à l’université (filière littéraire) à cause de ça, surtout au début, parce que soudainement on passe d’un univers où on t’apprend des choses précises présentée comme des vérité à des points de vu. « Selon machin la réponse c’est X, selon truc la réponse c’est Y, parce que [argument], débrouille toi. » et ça m’a beaucoup déstabilisée.