Mercredi 17 septembre

« Qui a oublié ce qu’est un participe passé ? »

Les quatrièmes Embrylex me regardent fixement. Ils sont d’une telle immobilité que je pense un instant m’être réincarné en le T-Rex de Jurassic Park.

« Non mais allez-y, hein, on est mi-septembre, j’ai encore des océans de patience en réserve. »

Entre douze et vingt bras se lèvent.

« Bon ben ça vaut le coup de réexpliquer alors. »

Et je retire une louche de patience de l’océan. C’est bien ça le problème. Pendant que je me retrouve à employer mes méthodes pour compléter celles de mes collègues en espérant que deux ou trois mômes finissent par imprimer définitivement cette foutue règle, je m’observe. Lorsque les bras se sont levés, j’ai manifesté du soulagement que les mômes osent me le dire. Et je pousse ce gravillon grammatical du bout du pied. Même si je sais. Je sais qu’au fur et à mesure de l’année, ce gravillon grossira, qu’il prendra les proportions de la rocaille de Sisyphe et que je me demanderai comment, par le tentacule gauche du grand Cthulhu, c’est possible de pas entraver à ce point-là un concept qu’est quand même pas si compliqué.

J’ai aussi des océans de patiences avec Lovisa, qui fonctionne toujours à contretemps et le revendique. Elle entre dans la classe quand elle veut « parce que j’ai pas envie d’attendre », se lève pour aller fouiller dans la trousse d’une camarade « parce que son stylo est mieux que le mien », et refuse de m’aider à distribuer un texte « parce que c’est pas mon travail ». Pour le moment j’inspire, j’explique à cette môme, dont je sais que la sociabilisation est éminemment compliquée. Je tente d’en rigoler, je détourne par l’humour ses tentatives de provocation. Jusqu’au moment où tout cela sera évaporé.

Il existe un jeu vidéo dans lequel l’océan est caché dans une personne. Ce concept m’avait sidéré par sa beauté, sa poésie, et sa vérité. À notre meilleur, lorsque nous sommes reposés et que l’on prend soin de nous, nous renfermons des infinis, dont on peut nourrir les autres. Je le vois en ce début d’année où, dans presque chaque classe, le fait qu’élèves et profs soient dispos crée des situations belles et douces. Mais à quelle vitesse ces océans peuvent-ils s’assécher. Et c’est toujours avec angoisse que je sens ce moment arriver chez moi. Alors je tente de prendre soin de moi. Pour que, le plus longtemps possible, je puisse prendre soin d’eux.

Une réflexion sur “Mercredi 17 septembre

Répondre à Kalys Graymes Annuler la réponse.