Lundi 22 janvier

Ce n’est pas vraiment une nouveauté : le lundi après-midi, j’ai deux heures de cours avec les troisièmes Max.

Et je considère que si personne n’est mort, que ce soit dans le camp des adultes ou des enfants, à l’issu des deux heures, j’ai gagné le collège.

Après près de cinq mois, j’en suis arrivé à la conclusion que les Max ne sont ni une classe atroce, ni irrespectueuse, ni malveillante. Ils sont juste beaucoup, beaucoup BEAUCOUP trop agités. Des sixièmes avec le coffre de préados, et la patience de primaires. Du coup, ça exige de varier les activités, le rythme, le débit, en permanence. Essayez d’imaginer qu’on vous demande de changer de tâche à votre taf toutes les quarante-cinq secondes. En gros. Dans les faits, ça donne un truc de ce genre :

“Bon, vous allez donc prendre vos livres, vos livres, j’ai dit. Vous relisez les pages 35 à 42. Vous, vous, vous et vous, vous continuez le travail de commentaire de texte que je vous ai envoyé par mail et que vous avez imprimé parce que vous êtes déjà super autonome et quasiment prêtes pour la seconde. Vous, vous répondez aux questions que je suis en train d’écrire au tableau, Maximilien, il y a un reflet dans le tableau, je vous vois lancer des bouts de gomme sur Kiba, vous, vous soulignez les mots de vocabulaire, oui qu’y a-t-il Anita ?
– J’ai fini l’analyse du texte.
– Oui alors vous allez sur l’ordinateur et vous me faites une recherche sur la reprise anaphorique et vous me dites en quoi elle apporte quelque chose à la lettre page 31, MAXIMILIEN SI VOUS ESSAYEZ ENCORE DE BALANCER UNE CARTOUCHE D’ENCRE SUR LE MUR JE VOUS MANGE.”

Et c’est comme ça tout. Le. Temps. Je dépense plus d’énergie durant ces cent-dix minutes qu’un Air Force One.

Et cet après-midi :

“Les loulous ont va tenter un truc on va tenter un truc ON. VA. TENTER… J’ai mis le feu à ma grand-mère.”

*Le brouhaha habituel stoppe (les troisièmes Max ne bossent dans le silence que le vendredi matin entre 8h30 et 8h47)*

“POURQUOOOOOOI VOUS AVEZ FAIT ÇA ?”

Quatorze élèves envisagent de me dénoncer aux services sociaux et six lèvent les yeux au ciel tandis que le silence retombe.

“On va tenter de faire le procès des deux personnages dont vous avez lu la correspondance. Il va falloir un juge, des avocats, des témoins… Maximilien. Je vous jure que je plaiderai la légitime défense quand on me demandera pourquoi je vous ai passé par la fenêtre.”

Cette séance, je la redoute. Je sais qu’elle a potentiel zbeulogène extrême. Et la répartition des rôles me donne dans un premier temps raison. J’y laisse un bon quart de mes cordes vocales.

Et les troisièmes Max se mettent soudainement au boulot.

C’est arrivé brutalement, comme ça. Aussi soudainement qu’ils quittent la salle après une heure ou qu’ils peuvent se mettre à éclater de rire sans raison. Les petits groupes se penchent sur le feuille de préparation. Des mains se lèvent.

“Monsieur, on peut intégrer de petits moments scénarisés dans les débats ? Par exemple, la femme trompée pourrait finir par s’en rendre compte.”

Oulan, la juge, qui en début d’année expliquait fièrement que son trait de caractère dominant était la méchanceté circule entre ses camarades pour leur expliquer calmement les règles qu’elle a instaurée avec ses adjoints. Dans une bouffée d’orgueil délirant, je reconnais dans sa façon de se pencher sur les autres certaines de mes attitudes.

Les troisièmes Max se sont métamorphosée en une classe parfaite, à tel point que je peux faire cours porte ouverte sans risquer que les ondes sonores émise par les mômes fasse s’écrouler le bahut.

Deux irréductibles, qui refusent de bosser. Après un moment, sept ou huit camarades les regardent, l’air profondément blessé.

“Monsieur, je suis désolé. S’ils ne participent pas à la préparation, ils n’assistent pas au procès vendredi.”

De fait. Ils travailleront dans une salle attenante. Il faut aussi mériter l’euphorie.

Sur un coin de table, de petites listes apparaissent. Les tenues qu’ils porteront le jour de ce qu’ils appellent “la représentation”.

J’ignore si je parviendrai à rééditer un jour ce moment avec eux. Mais ne réfléchit pas trop. Fais à leur image. Profite.

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