Lundi 8 janvier

En ce jour de rentrée, je reçois pas mal de messages furieux, après avoir mentionné que je faisais étudier Thérèse Raquin à mes élèves de lycée. « Après on dit que les élèves n’aiment pas lire. » « Ce livre m’a dégoûté de la lecture. » « J’ai détesté, je ne comprends pas cet acharnement. »

Il y a plusieurs années, j’aurais rétorqué que ce livre est merveilleux, je serais parti dans un vibrant plaidoyer sur la force des personnages, sur la poésie des descriptions qui sont belles, qui sont vraiment belles, et qui ont du sens, pour qui sait le chercher.
Ça n’aurait servi à rien. Nous ne sommes pas des thaumaturges.

Il y a peu de temps, je m’en serais voulu. Je me dirais que la congrégation des enseignants de français a failli, que nous avons été de mauvais guides, que nous n’avons pas réussi à étayer la route de jeunes esprits pour qu’ils marchent sur les traces de notre émerveillement.
Ça n’aurait servi à rien. Nous ne sommes pas des guides de haute montagne.

Aujourd’hui, je lis également les messages de personnes expliquant à quel point ce livre les a marqués, bouleversés. Et j’ai tendance à me dire que notre rôle n’est pas de défendre une œuvre : il est de provoquer une rencontre entre un lecteur et un bouquin. En fournissant les appuis techniques et le contexte. En prenant garde à certains élèves, en fragilité devant des thèmes (oui, je suis un affreux woke). En multipliant les entrées dans l’œuvre. Il y a toutes les chances que ça ne fonctionne pas. Ou toutes les chances que, finalement, les élèves s’attachent au texte pour une raison que l’on avait été incapable d’envisager au début. Comme les quatrièmes de l’année dernière, pour qui Le Cid était avant tout une excuse pour rester dans le bâtiment sur l’heure de midi, pendant qu’ils répétaient la pièce. Cette horrible texte aux structures compliquées qu’ils ont fini par habiter, manipuler, qui leur a tant apporté.

« Donner envie de lire », c’est vaste comme le ciel. Réussir, non seulement à donner la culture qui permettra à de futurs lecteurs (lecteurs ? Espérons ?) de s’opposer à des textes sur lesquels ils ont fait leurs gammes, mais également à créer des rencontres qui changeront leur acuité, là est la grande question.

Oh et avoir le bac aussi. Notamment.

Et cette vaste constellation de voix, s’indignant ou se rappelant avec émotion le passage crasseux où Thérèse enfermait une colère, tristement banale et infinie, m’incite aujourd’hui plus à la sérénité qu’à la colère.

C’est pas mal, parfois, de vieillir.

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