Samedi 13 avril

Ces derniers jours, je corrige énormément de copies d’élèves qui ne sont pas les miens : hasard du calendrier, des devoirs communs ont succédé à des bacs blancs dans mes deux bahuts. Me voilà donc, ramenant quotidiennement des brassées entières de feuilles – priant très fort que l’une d’entre elles ne décide pas de se faire la malle – et évaluant donc des travaux de personnes que je ne connais pas.

Des tas de questions surviennent : comment leur apporter quelque chose, à ces mômes dont j’ignore tout des capacités, des difficultés et des compétences ? Me voilà à griffonner partout où une marge me laisse de la place, à réfléchir, passer un coup de correcteur, me désespérer d’avoir cochonné un devoir. Ou à me rengorger stupidement en me disant que « mes élèves ne font plus cette erreur ». Ouais. Mais ils en font une autre que je ne trouve jamais dans ces devoirs. Ces feuillets sont des traces du boulot effectué par mes collègues.

Au fur et à mesure, la certitude s’installe : si seulement nous avions un peu de temps pour venir nous voir, les uns les autres. Si nous avions d’autres moments que les dix minutes devant la cafetière pour nous donner des billes, pour réfléchir à ce qui marche vraiment. Dans cet établissement précis, parce que, je m’en rends de plus en plus compte, transférer des systèmes entre bahuts est une équation dont le résultat est rarement celui auquel on s’attend.

Impression, au fil des années, que ce lien entre collègues, déjà bien ténu du fait de nos conditions d’exercice, se dissout. Au-dessus de nous, nos responsables tempêtent, s’agitent, exigent que nous travaillions de concert. Tandis qu’en journée nous courons, nous nous croisons dans des salles toujours plus exiguës. Nous avons déjà du mal à voir nos élèves. Comment s’intéresser aux autres. J’ai peur, tellement peur de m’éloigner d’eux.

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