Les sorcières

Toujours, à la limite de mon regard, les femmes, les sorcières. Le cortège de celles qui se lèvent, qui marchent, qui luttent.

Toujours, à la limite de mes mondes, les femmes les sorcières. Depuis mon enfance. Le grand livre des légendes égyptiennes. Le deuxième que j’ouvre seul, le premier c’était Fantômette, Fantômette la toute petite enchanteresse.
Je parcours les pages blanches et grasses, je suis avec le doigt, parce que je veux que les mots me rentrent sous la peau : l’histoire d’Isis l’humaine, la sage femme, qui à Râ, le dieu des dieux des dieux, dérobe son vrai nom.

Râ le soleil, Râ le premier des éternels dont je perçois, enfant, l’étendue des pouvoirs de création. Râ de sa substance délesté, par une femme.

Peut-être est-ce pour cela, est-ce parce qu’à mes cinq ans, durant l’Antiquité, Isis la rusée devient par son seul savoir, déesse. Chacune de ses soeurs sera doté d’un fragment de son pouvoir. Infini et angoissant, car enfin, c’est en ouvrant la poitrine d’un homme, qu’elle obtient ce qu’elle désire.

Jamais cette fascination, dans ma vie d’avaleur de fiction, ne dévie. Je poursuis les épopées de femmes, de magiciennes et d’impératrices. Je frissonne devant la Reine de la Nuit et la Duchesse Sanseverina. La Méchante Sorcière de l’Ouest et Scarlet O’Hara m’amènent à me demander s’il n’y a pas un problème avec l’oeil sur les femmes posées. J’ai sept ans, je suis très petit et très protégé.

J’ai trente-quatre ans, je suis homme, adulte et très protégé. Je retiens mon souffle devant les épopées de Catherine Earnshaw, de Bayonetta, de Laure Berthaud. J’ai trente-quatre ans, je suis au courant du combat des femmes.

Isis, du fond de mon enfance, a été sage. Elle m’a cousu la langue, paralysé les doigts. Elle m’a jeté un sort : si je dois prendre part à cette lutte, que ce soit en actes toujours, jamais en mots. Que ma parole économisée laisse place à celles qui la revendiquent, que ma voix résonne ailleurs. Et que seul mes gestes trahissent mes convictions. Et non même pas. Addendum à la formule : que mes actions restent invisible, pour éviter le rengorgement du mâle qui fait bien.

J’ai dans les marques de mes années une longue procession de sorcières. Qui au gré de leurs aventures, observent et m’appellent à l’action. Puisse le charme, encore longtemps opérer.

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