Carrie et moi

Carrie Fisher est morte.

Aujourd’hui, 6 mars 2018, l’explosion est en moi aussi violente que lorsque les médias l’ont hurlé. Coeur dissonnant. Carrie Fisher était morte et l’on m’avait retiré la Princesse Leia. La possibilité que la Princesse Leia poursuive ses aventures cosmiques. Parce qu’évidemment qu’elle était pour moi l’héroïne. Depuis la première fois où je l’avais rencontrée, retirant son masque dans Le retour du Jedi.

Leia la première héroïne dans mon univers mental. Alors évidemment, la mort de Carrie, c’était celle de Leia.

Leia plus quelques scories. J’avais aperçu dans quelques films cette femme aux traits lourds. Qui ressemblait de loin à la Princesse. J’avais entendu des mots qui ne cadraient pas avec la Générale intergalactique. Alors je les ai effacé.

Novembre 2017. Colin, Colin évidemment, m’offre Journal d’une Princesse, mémoires de tournages de Carrie Fisher. Je me plonge dedans dans le train qui me ramène de chez lui. Et il y a quelque chose d’électrique. Plein du deuil de ma princesse, je lis l’ennui d’une femme. Qui cherche à exister en dépit de Leia.

Quelques mois plus tard, j’écoute. La voix cassée, lasse de Carrie Fisher lisant le reste de son autobiographie en livre audio.

Carrie n’était pas Leia. À 35 ans je ne le savais pas. À 35 ans, je rencontre la fille de Debbie Reynolds, et m’étrangle de rire et d’émotion à ses mots. Carrie s’est éteinte et je ne la connaissais pas. Je ne connaissais ni ses addictions ni ses électrochocs. Ni ses grosses blagues ni son mari.

Carrie me soigne.

Je regarde en moi, dans le vide laissé par l’absence de Leia. La précieuse douleur est intacte. Connaître celle qui prêtait son visage à mon idole ne me blesse pas. Parce que ma nostalgie n’est qu’égocentrique. Ce passé que je pleure n’est qu’une partie de moi.

Leia, ma Leia n’est absolument pas partie. Elle est plus que jamais présente, fruit de ma mémoire. Carrie sourit. Et impose à mon esprit mes regrets du passé les plus vifs. La grande maison en Provence dans laquelle je n’irai plus jamais. Les moments de bonheur de mon entrée dans l’âge adulte. Des voix et des visages.

Leia gonflait Carrie. Leia n’était pas cet être idéal. Ma mémoire seule est responsable. Gardienne et créatrice de mes douloureux attachements. Et tout le reste est là. Je balbutie, lèvres blêmes, de ce qui vient de m’arriver. La nostalgie qui m’enserre depuis min adolescence vient de se transmuer. Ce ne sont que des images. Des constructions mentales, que tu peux revisiter, ou abattre à loisir. Tu n’es pas un prisonnier de ton passé, à moins de te faire geôlier.

Il m’a fallu la voix rauque de Carrie Fisher, celle qui fut un peu la princesse Leia pour me délivrer du sortilège depuis si longtemps jeté.

Pour regretter un peu moins.

Je m’esclaffe, ça fait un bruit ridicule. C’est tellement convenu, cette épiphanie offerte par une célébrité d’Hollywood.

Ça ne change rien. Leia et Carrie, le masque l’une de l’autre, qui sous mon crâne brisent les chaînes.

2 réflexions sur “Carrie et moi

  1. Chouette texte.
    La Leia qui est mon héroïne je l’avais découverte dans ce qu’on appelle aujourd’hui Episode IV et j’étais fasciné, dès les premiers instants, par cette princesse habillée en blanc qui tient tête à Dark Vador (oui chez moi on dit Dark Vador et Z6PO) et son souffle rauque. Leia et Carrie ont toujours été pour moi indissociable de ce moment là, quand elle fait face (« Cette félonie porte bien votre marque ! »)

    • Ahah, je comprends en quoi la scène a pu être fondatrice !

      Comme je le disais, Carrie est très longtemps restée Leia. Et étrangement, cette modification de perception n’a en rien gâché l’amour que je porte au personnage. (« J’ai senti votre odeur méphitique dès que je suis montée à bord ! »)

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